Intoxication par raticidesLes raticides (rodenticides ou souricides) appartiennent à la classe des pesticides. Ces sont des produits chimiques utilisés pour lutter contre les rats et autres rongeurs nuisibles.
Bien que certains pays européens aient réglementé l’utilisation de ces substances, les raticides sont commercialisés en vente libre en Afrique et en Asie sous forme de poudres, grains ou concentrés huileux. Leur usage est domestique ou agricole.


Les intoxications humaines sont souvent volontaires par tentative de suicide, accidentelles chez l’enfant ou plus rarement professionnelles.
Les principaux raticides incriminés en toxicologie sont : les raticides anticoagulants, le Chloralose et le Phosphure d’aluminium.

I. RATICIDES ANTICOAGULANTS :

Les rodenticides anticoagulants sont classés en composés de première génération (warfarine) et de deuxième génération (superwarfarines). Les substances de nouvelle génération ont pris place après l’apparition des souches de rats résistants, elles sont beaucoup plus puissantes et de durée d’action longue.

Deux familles chimiques des superwarfarines : les dérivés de la 4-hydroxycoumarine (BROMADIOLONE, BRODIFACOUM, COUMACHLORE, COUMATÉTRALYL, DIFÉNACOUM…) et les dérivés de l’indanedione (CHLOROPHACINONE, DIPHACINONE). Leur demi-vie varie de 7 jours (CHLOROPHACINONE, DIPHACINONE) à 2-3 semaines (BROMADIOLONE, DIFÉNACOUM) ou plus (BRODIFACOUM).

raticide anticoagulantBrodifacoum raticide

Ces pesticides sont disponibles dans le commerce sous forme d'appâts à base de céréales, de blocs de cire, de poudre de piste ou de pâtes infusées à faible concentration de toxiques. Les grains enrobés sont plus faiblement imprégnés que les autres.

Les anticoagulants inhibent une enzyme hépatique qui entraîne le blocage de synthèse de la vitamine K et par conséquent les facteurs de coagulation (II, VII, IX et X). Le pic d'effet est atteint en 2 à 3 jours.

Signes cliniques :
Les symptômes apparaissent tardivement et sont variables selon la quantité ingérée. Le diagnostic peut être difficile en absence de contexte évocateur mais doit être toujours suspecté en présence de saignements non expliqués chez l’enfant et l’adolescent.

  • Signes non spécifiques : nausées, vomissements, douleur abdominale.
  • Les signes hémorragiques surviennent entre 3 et 9 jours après exposition et peuvent provoquer différents types de saignement : ecchymoses, hématomes, épistaxis, hématuries, hémorragies digestives, etc. Le choc hypovolémique et l’hémorragie cérébrale sont à craindre et peuvent entrainer le décès.

Signes biologiques :
Le bilan biologique est nécessaire même en absence de signes cliniques.

  • baisse du taux de prothrombine (TP),
  • élévation de l’INR (International Normalized Ratio)
  • anémie hypochrome microcytaire en cas de saignement important.

Le risque de saignement augmente de façon linéaire dès que l'INR est supérieur à 3 ou que le TP est inférieur à 20%.

Mesures thérapeutiques :

  • Prise en charge hospitalière immédiate.
  • Charbon végétal activé par voie orale : 50 g chez l’adulte, 25 g chez l’enfant, à renouveler au besoin. Il peut être efficace lorsqu’il est administré tôt dans les 2 premières heures d’intoxication.
  • Phytoménadione (Vitamine K1®) : ampoules de 10 mg en perfusion lente ou buvable.
  • Raticides Warfarines : 5 à 10 mg per os ou en perfusion lente. La Vitamine K agit après un délai de 6 heures mais son action dure plus longtemps. On peut la renouveler après 12 heures puis tous les jours. Durée maximale du traitement 1 semaine.
  • Raticides Superwarfarines :

- Adulte : Vitamine K1 per os 25 à 50 mg 3 à 4 fois/jour (100 à 200 mg/jour) pendant 1 à 2 jours ou en perfusion lente (si impossibilité per os) 10 à 50 mg 3 à 4 fois/jour. Enfant : per os 5 à 10 mg 3 à 4 fois/jour ou en perfusion (si impossibilité per os) 0,25 mg/kg 3 à 4 fois/jour durant 1 à 2 jours.

  • Concentrés de complexes prothrombiniques humains (CCP) : KANOKAD® CONFIDEX® 25 à 30 unités/Kg en perfusion pendant 3-10 min. Il a une action immédiate, à prescrire en cas d’hémorragie grave.

Ces deux médicaments peuvent engendrer des réactions anaphylactiques et ne seront débutés que lorsque l’INR est >4 ou le saignement est menaçant.

La durée de traitement pour les Superwarfarines peut aller de 45 jours à plusieurs mois : chez l’enfant 5 à 10 mg/jour, pour l’adulte 15 à 25 mg/jour. Après la phase aigue le traitement est poursuivi à domicile avec contrôle régulier du TP et INR.

La guérison ne pouvant être affirmée qu’après au moins 3 jours de normalisation du TP et de l’INR tout en savoir qu’il y a un risque de rebond.

II. INTOXICATION AU CHLORALOSE :

chloralose raticideL’alpha-chloralose a été commercialisé dans les années 60 comme somnifère avant d’être supprimé à cause de ses effets indésirables. Existe sur le marché comme rodenticide sous forme de grains ou poudre en sachets de 3 à 7 grammes. Exemple : RATICIDOSE®, RATICIDE 70®, RATOXIDE®, FLASH GRAIN®, BLACK PEARL®, …etc.
Son absorption par voie orale est rapide, métabolisé par le foie et diffuse dans plusieurs organes dont le cerveau avant d’être éliminé par les reins.
Dose toxique : 1 g chez l’adulte – 20 mg/kg chez l’enfant
La mortalité hospitalière chez les humains est très rare (< 2%)

Signes cliniques :
Les manifestations cliniques apparaissent dans les heures qui suivent l’absorption :

  • Vomissements, somnolence, vertiges, sensation d’ébriété, tremblements,
  • Le coma est profond et accompagné de myoclonies et des convulsions qui sont exagérées par le bruit et la lumière,
  • Reflexes ostéotendineux vifs, pupilles soit en mydriase soit en myosis,
  • L’encombrement bronchique par hypersécrétions peut entrainer une insuffisance respiratoire aigue.

Signes biologiques :
Dosage de l’alpha-chloralose dans les urines et le contenu gastrique.
Il n’existe pas de troubles biologiques spécifiques sauf complications particulières (hypoxie, rhabdomyolyse, surinfection).

Mesures thérapeutiques :
Traitement en milieu hospitalier avec monitorage des signes vitaux et du SpO2.

  • Il n’existe aucun antidote, le traitement est symptomatique.
  • L’hypersécrétion bronchique et la détresse respiratoire par inhalation constituent un risque vital grave, ils impliquent la nécessité d’intubation et de ventilation assistée avec des aspirations bronchiques fréquentes.
  • Lavage gastrique abondant après protection des voies aériennes supérieures par l’intubation. Il est d’autant plus efficace qu’il est réalisé précocement.
  • Charbon végétal activé par voie orale : 50 g chez l’adulte, 25 g chez l’enfant, peut être proposé précocement par sonde gastrique après l’intubation. Son efficacité n’est pas prouvée.
  • Contrôler les convulsions par les benzodiazépines : Diazépam (VALIUM®) en perfusion.
  • Le coma est le plus souvent de courte durée (8 à 12 heures) avec une guérison sans séquelles.

III. PHOSPHURE D’ALUMINIUM :

phophorure d'aluminium raticide intoxicationLe Phosphure d’aluminium (Aluminum phosphide) est un pesticide hautement toxique couramment utilisé pour la conservation des grains (céréales, riz) et occasionnellement comme raticide. À bas prix, il est commercialisé sous la forme de comprimés de 3 g chacun de couleur grisâtre, d’odeur nauséabonde, enfermés dans des flacons hermétiques (PHOSTOXIN®, QUICKPHOS®, CELPHOS®, ALPHOS®, etc.).

Au contact de l'eau la substance subit une réaction chimique donnant du gaz phosphine, qui est le composant pesticide actif.

La phosphine inhibe l'utilisation de l'oxygène cellulaire par les mitochondries et provoque une anoxie. Ce gaz est inflammable et peut provoquer un incendie. Il est très irritant des voies aériennes, des poumons et des yeux.
Le Phosphure d’aluminium est un poison pour l’homme et les animaux, plusieurs publications soulignent la gravité en cas d’intoxications volontaires et une mortalité supérieure à 60%.
Par voie digestive, l’absorption du Phosphure d’aluminium est rapide, il diffuse dans plusieurs organes, son élimination est rénale et pulmonaire.

Signes cliniques :
Les signes apparaissent précocement :

  • Signes digestifs : douleur abdominale, vomissements. Possibilité de cytolyse hépatique.
  • Signes respiratoires : toux sèche, dyspnée, cyanose et syndrome de détresse respiratoire aiguë.
  • Signes cardiovasculaires : hypotension, insuffisance cardiaque aigue, troubles du rythme graves (tachycardies, extrasystoles, BAV, troubles de la repolarisation) pouvant entrainer la mort par choc cardiogénique et arrêt cardiaque.

Examens complémentaires :

  • Bilan biologique complet : NFS (thrombopénie, anémie hémolytique), glycémie, fonction rénale et hépatique, ionogramme (Natrémie, Kaliémie), magnésium (hypo magnésémie possible), gaz du sang (hypoxie, acidose métabolique).
  • ECG systématique.
  • Radiographie de thorax : œdème des poumons, signes d’inhalation, épanchement pleural.

Mesures thérapeutiques :
La victime d’intoxication doit être traitée immédiatement en soins intensifs avec monitorage des fonctions vitales, rythme cardiaque et SpO2.

  • Il n’existe aucun antidote, le traitement est symptomatique.
  • Le lavage gastrique à l’eau est strictement contre indiqué, certains préconisent le lavage à l’eau auquel on ajoute du permanganate ou du bicarbonate de sodium (. Le risque d’inhalation est redoutable.
  • Charbon végétal activé : non indiqué et inefficace.
  • L’oxygénothérapie est nécessaire, l’intubation et la ventilation mécanique sont à instaurer en cas de détresse respiratoire.
  • Traitement des troubles du rythme, de l’hypotension artérielle (remplissage par soluté salé isotonique NaCl 0,9%) et de la défaillance cardiaque (Noradrénaline, Dobutamine).
  • Correction des troubles électrolytiques et de l’acidose métabolique.
  • La bonne fonction rénale est importante puisque le toxique est éliminé dans les urines.

BIBLIOGRAPHIE :
IKEN, I. et al. : The poisoning by the chloralose, Experience of the university hospital Hassan II of Fez between 2011 and 2014. Toxicologie Analytique & Clinique (2018), 30(2), 114–119.
CENTRE ANTIPOISON BELGE : Intoxication aux raticides à base d'alphachloralose chez l'homme
CENTRE ANTIPOISON BELGE : Intoxication par raticide anticoagulant chez l'homme
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SAMEER GULATIA, ANU GULATIB : Anticoagulant rodenticide poisoning. Indian Journal of Medical Specialities (2018), doi.org/10.1016/j. injms.2018.04.010
NEGUIN C. : Intoxication volontaire aux raticides chez une adolescente. Arch Pédiatrie 1999 ; 6 : 855-8

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