L’absorption digestive est rapide, une quantité de cyanure entre 0,5 et 3,5 mg/kg de poids corporel peut être létale. Sous forme de gaz, l’inhalation par voie pulmonaire est toxique dès 0,3 mg/litre.
Une exposition massive entraîne la mort en dix minutes dans un tableau de coma souvent convulsif, hypoxie, collapsus cardiovasculaire, bradycardie puis arrêt cardiaque. Les formes légères sont heureusement les plus fréquentes en pratique quotidienne.
Les cyanures entrainent une asphyxie aigue. À l'intérieur de la cellule, l’ion CN⁻ se lie, avec une affinité élevée, au fer ferrique (Fe3+) appartenant au cytochrome mitochondrial (cytochrome oxydase). L'oxygène ne pouvant plus se fixer ceci entraine le blocage de la respiratoire cellulaire. Il apparaît une diminution de la synthèse d'ATP. Le métabolisme cellulaire fonctionne alors en anaérobie, entrainant une augmentation des lactates et une acidose métabolique.
I. HISTORIQUE :
La découverte des poisons à base de cyanures remonte à l’antiquité au temps des pharaons et des romains. Différentes plantes étaient utilisées pour extraire cette substance dont le laurier-cerise. L’histoire révèle plusieurs cas d’empoisonnement des rois et personnalités politiques célèbres.
Sous forme de gaz, poudre ou liquide, le cyanure était employé comme arme chimique pendant les guerres napoléoniennes, la première puis la deuxième guerre mondiale et même dans les attentats terroristes contemporaines. Il a été utilisé comme moyen d’autolyse ou criminel dans plusieurs pays. Aux États-Unis, les cyanures étaient employés dans les chambres à gaz pour les condamnés à mort avant d’être remplacés par d’autres moyens. D'après le rapport de l'Association Toxicologie-Chimie de Paris, en 2020, le gaz lacrymogène utilisé par les forces de l'ordre lors des manifestations contient du cyanure et peut provoquer des intoxications par voie respiratoire et cutanée.
Les études pharmacologiques et physiopathologiques sur les cyanures débutèrent au IXe siècle. En 1815, Joseph Louis Gay-Lussac établit sa formule et donna au radical CN le nom de cyano (bleu).
Ces produits chimiques sont couramment utilisés actuellement dans l’industrie.
II. LES COMPOSÉS CYANURÉS :
On distingue différentes formes chimiques : gaz, poudre, liquide.
- Acide cyanhydrique : formule chimique H-C≡N, liquide incolore, volatil, soluble dans l'alcool et dans l'eau, avec une odeur caractéristique d'amande amère (50% de la population ne peuvent pas sentir cette odeur). Le HCN brûle dans l’air en donnant du dioxyde de carbone et de l’azote.
- Cyanogène : formule chimique C₂N₂ est un gaz incolore, à odeur très forte. Par combinaison avec l'hydrogène et les métaux, le cyanogène permet d'obtenir de l'acide cyanhydrique et autres cyanures.
- Sels élémentaires de l'acide cyanhydrique : cyanures de sodium, de potassium, de calcium ou d’ammonium.
- Glycosides cyanogènes d’origine végétale : amygdaline, linamarine, prunasine.
III. CIRCONSTANCES D’INTOXICATION :
1. FUMÉES D’INCENDIE :
L'inhalation des fumées d'incendie constitue la première cause d'intoxication par les cyanures. Cette toxicité n’est connue par les médecins que depuis 1980. On estime que 80 % des décès suite à des incendies dans les espaces clos sont secondaires à une intoxication par le CO et/ou les fumées et non pas par le feu lui même.
- Les cyanures, l’hydrogène sulfuré (H2S) et l'oxyde de carbone (CO) provoquent une asphyxie,
- les gaz irritants comme le chlore et ses dérivés, les aldéhydes et les dérivés de l’azote provoquent une lésion des muqueuses et des voies respiratoires.
L’acide cyanhydrique fait partie d'un mélange complexe de substances issues de la pyrolyse et de la combustion des matières synthétiques et naturelles présentes dans les environnements domestiques. Les matières plastiques, la laine, la soie, les mousses de polyuréthane et toutes les substances contenant de l'azote dégagent du cyanure à haute température.
L’inhalation de fumée d’incendie provoque une atteinte systémique anoxique, neurologique et cardiaque. Elle doit être toujours suspectée chez les victimes, les signes à rechercher sont :
- La présence de suie dans les narines, la toux avec crachats noirâtres sont des signes très évocateurs d’inhalation de cyanures,
- irritation des yeux : rougeur conjonctivale et larmoiement,
- signes neurologiques : céphalée, agitation, confusion, convulsions, coma,
- signes cardiorespiratoires : dyspnée, hypotension artérielle et à l’extrême un arrêt cardiaque,
- la cyanose n’est pas proportionnelle au degré d’anoxie car le degré de saturation en oxygène du sang veineux se rapproche de celui du sang artériel,
- signes biologiques : augmentation des lactates dans le sang > 10 mmol/l, acidose métabolique. Le dosage sanguin du cyanure est possible mais peu utile en pratique en raison des délais pour obtenir le résultat. Il peut être utile pour confirmer le diagnostic une fois le traitement administré ou lors d'une expertise médicolégale.
- l’inhalation de HCN peut être associée à l’intoxication par l‘oxyde de carbone (CO) qui sera détecté par le dosage de la carboxyhémoglobine (HbCO).
- l’oxymètre de pouls n’est pas fiable dans ces conditions pour détecter la saturation en oxygène.
- La prévention s’impose pour les pompiers : ne pas se mettre contre le vent, port d’équipements de protection, gants, masques à gaz et bouteilles d’oxygène. Dégagement rapide des victimes hors les espaces clos.
2. INTOXICATIONS VÉGETALES :
- Les noyaux d'abricots et les amandes amères sèches utilisées couramment dans la confiserie pour donner un goût spécial très apprécié. Certains enfants écrasent les noyaux d’abricot pour fabriquer une sorte de sirop et, par ignorance de son toxicité, ils s’exposent à un risque mortel. Six à dix amandes amères pourraient occasionner une intoxication grave alors que les amandes douces ne sont pas toxiques du fait d'une teneur faible en cyanures.
- Noyaux de pêches, cerises, prunes, pépins de pommes, noix de cajou, bourgeons et écorces de divers sorbiers. Les jus de fruits contiennent une quantité plus au moins importante de cyanures.
- Le laurier-cerise est une espèce de plantes de la famille des Rosacées. C'est un arbuste fréquemment planté en haies, appréciant les climats doux (côtes méditerranéennes et atlantiques notamment). Les feuilles et les graines non consommables par l'homme sont toxiques pour les animaux.
- Plusieurs cas d’intoxications accidentelles par les plantes ont été publiés (USA, Turquie) dont certains sont mortels, les enfants sont particulièrement plus exposés.
- Le diagnostic peut être difficile en absence d’anamnèse précise et de contexte évocateur. Les signes d’intoxications par l’amygdaline sont celles des cyanures (cf. paragraphe III-1).
Les compléments alimentaires ou les préparations de médecine alternative peuvent présenter un potentiel non négligeable d’intoxication et d’effets indésirables.
On trouve sur internet les recommandations de consommer dix amandes d’abricots ou amandes amères par jour pour prévenir la survenue d’un cancer, et de 60 amandes pour les personnes atteintes. Les charlatans font la publicité du « vitamine B17 » comme traitement des cancers. C'est du fake news, cette vitamine n’existe pas et aucune étude scientifique n’a montré l’efficacité des amandes amères contre les cellules malignes.
3. MÉDICAMENTS CONTENANTS DU CYANURE :
Le NITROPRUSSIATE DE SODIUM (Nipride®) : est un médicament vasodilatateur mixte indiqué dans la crise hypertensive réfractaire aux autres mesures thérapeutiques habituelles. Il permet d'abaisser rapidement la pression artérielle.
Le problème majeur de ce médicament est sa toxicité. En cas d’insuffisance rénale ou hépatique, d’utilisation prolongée (> 48-72 heures) ou vitesse de perfusion > 3 mcg/kg/min : risque d’accumulation de métabolites toxiques (thiocyanate ou cyanure) qui pourrait se manifester par fatigue, vision brouillée, confusion, absence de réflexes, pupilles dilatées, tintement d’oreilles, haleine avec odeur d’amandes.
4. INTOXICATIONS PROFESSIONNELLES :
L’acide cyanhydrique est principalement utilisé dans l’industrie minière et chimique pour la fabrication de produits tels que le chlorure cyanurique, les cyanures, les ferrocyanures, etc. Il est également utilisé en agriculture en tant qu’insecticide et rodenticide, généralement par fumigation.
Les intoxications professionnelles peuvent être aigues ou chroniques. L’exposition peut provoquer des vertiges, céphalées, brûlures, eczéma de contact, douleur abdominale, nausées, troubles sensoriels de l’odorat et du goût, conjonctivites, etc. L'exposition chronique peut causer des neuropathies et des goitres thyroidiens.
IV. MESURES THÉRAPEUTIQUES :
1) LES PREMIERS GESTES D’URGENCE SONT :
- L’extraction des victimes hors de la zone de danger, la protection cutanéo-muqueuse et respiratoire des intervenants est indispensable,
- La décontamination d’urgence : déshabillage, lavage à l’eau.
- Oxygénothérapie normobare précoce avec une FiO2 à 1. Éviter la respiration artificielle bouche à bouche, car il y a risque de s'intoxiquer avec l'air expiré. Utiliser un tube avec valve à sens unique ou un AMBU.
- Transport médicalisé vers le service d’urgence le plus proche.
2) À L’HÔPITAL :
- Traitement de la détresse respiratoire, de l’hypotension artérielle et des convulsions. Les moyens sont adaptés à l’état clinique : remplissage, catécholamines, ventilation au masque ou intubation, benzodiazépines en cas de convulsions, bicarbonate de sodium en cas d’acidose métabolique.
- Antidotes précoces dès suspicion de l’intoxication.
3) LES KITS D’ANTIDOTES :
Différents antidotes proposés :
- L'association appelée kit d'antidotes cyanures : successivement Nitrite d’amyle + Nitrite de soude + Thiosulfate de soude OU Nitrite d’amyle + 4-DMAP + Thiosulfate de soude. Ces méthodes ne sont plus recommandées actuellement. L’Hydroxocobalamine seul est le traitement de choix.
- NITRITE D’AMYLE : 0,3 ml pour inhalation avec mouchoir imbibé pendant 30 secondes, effet immédiat mais transitoire, il sera suivi par les autres antidotes.
- NITRITE DE SODIUM : administrer 300 mg (10 ml d’une solution 3 %) en I.V. avec un débit de 2,5 à 5 ml/minute, pour les enfants 6 à 8 ml/m2 (environ 0,2 ml/kg de poids corporel maximum 10 ml).
- THIOSULFATE DE SODIUM : injecter 12,5 g (50 ml d’une solution à 25 %) en IV lente pendant 10 à 20 min, pour un adulte. La posologie pour les enfants est de 0,4 g/kg (maximum 12,5 g).
Chaque molécule d'hydroxocobalamine est capable de fixer le cobalt à l'ion cyanure en formant la cyanocobalamine inoffensif qui sera éliminée par les urines et donne une coloration rouge.
INCENDIE EN MILIEU CLOS | |||
Suie dans les voies aériennes, dysphonie, hyperhémie conjonctivale | Pas de suie, pas de troubles neurologiques ni hémodynamiques | ||
Troubles neurologiques ou hémodynamiques | Absence de troubles neurologiques et hémodynamiques | ||
Traitement symptomatique + Cyanokit® | Traitement symptomatique + surveillance | Traitement symptomatique |
BIBLIOGRAPHIE :
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- MORGANE FLAHAUT : Le cyanure dans l’histoire et intoxications actuelles. Thèse université de Bordeaux 2. Médecine humaine et pathologie, 2015, dumas-01237734.
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