Un jeune de 28 ans, ouvrier agricole, est amené aux urgences après perte de connaissance survenue au lieu de son travail et crise convulsive généralisée. Les accompagnants ne savent rien sur ses antécédents (nouveau recruté).
A l’examen initial :
- Patient couvert de sueur,
- Coma profond calme, Glasgow score 10/15 : ouverture des yeux à la douleur (2), réponse verbale confuse (4), réponse motrice inadaptée (4).
- Polypnée avec signes d’encombrement bronchique. TA à 10/5, pouls régulier à 55/min. Température à 37,3°C. SatO2 à 85%.
- Myosis serré bilatéral.
- L’examen clinique général ne trouve pas de signes cutanés (traumatiques en particulier), absence de signes neurologiques, pas de signes méningés et l’abdomen est souple.
- La glycémie capillaire est de 1,8 g/L.
- ECG : rythme régulier sinusal à 55/min.
- Question n° 1 : Quel est le diagnostic à évoquer devant ce tableau clinique ?
- Question n° 2 : Quels sont les examens complémentaires à demander ?
- Question n° 3 : Quelle est la conduite thérapeutique en urgence ?
RÉPONSE 1 :
Une crise comitiale, lorsque les antécédents sont méconnus, doive faire rechercher avant tout une cause métabolique (hypoglycémie ++), toxique, traumatique (traumatisme crânien), infectieuse ou neurologique.
Le contexte et les signes muscariniques à l’examen clinique évoquent une intoxication par les pesticides. Le problème est de savoir si la porte d’entrée est digestive, respiratoire ou cutanée (les 3 voies sont possibles). L’interrogatoire des collègues du travail oriente plutôt vers les 2 dernières voies puisque le patient manipulait des organophosphorés (OP) pour usage agricole. C’est un accident de travail.
RÉPONSE 2 :
Demandez une analyse toxicologique (sang, urines et contenu gastrique). Le diagnostic des OP est indirect, basé sur le dosage des pseudocholinestérases plasmatiques et des acétylcholinestérases globulaires.
RÉPONSE 3 :
- Réanimation respiratoire et hémodynamique : le contrôle de la respiration par l’intubation permet de faire des aspirations bronchiques et le lavage gastrique.
- Traitement anticonvulsivant si nécessaire : Diazépam (Valium®).
- Décontamination :
- Déshabillez entièrement le patient en cas d'intoxication par voie cutanée. Les organophosphorés sont peu solubles dans l’eau et très liposolubles. La peau saine sera décontaminée par une solution aqueuse d'hypochlorite de sodium à 8 grammes de chlore actif par litre (eau de Javel à 12° diluée au 1/5). Pour les plaies utilisez une solution de Dakin.
- En cas d'ingestion, le lavage gastrique évacuateur abondant doit être réalisé précocement en raison de l'absorption rapide des organophosphorés. Le charbon végétal activé (de bois) n'est pas efficace dans ce type d'intoxication.
4. Antidotes :
- Atropine (ampoule de 1 mg)
- Les Oximes (Sulfate de Pralidoxime ou Contrathion®, flacon de 200 mg)
5. Hospitalisation :
Les intoxications par les OP nécessitent toujours l’hospitalisation, les effets tardifs sont possibles plusieurs jours après, même après une amélioration clinique apparente.
En effet ce patient a présenté au réveil (le lendemain) des douleurs abdominales, l’élévation des amylases sanguins et urinaires et le scanner ont montré des signes de pancréatite aiguë.
LES INTOXICATIONS PAR LES ORGANOPHOSPHORÉS (OP) :
Un pesticide est une substance utilisée pour lutter contre des organismes considérés comme nuisibles. C'est un terme générique qui rassemble les insecticides, les fongicides, les herbicides, les parasiticides.
Les organophosphorés (Parathion, Malathion, Dichlorvos, Chlorfenvinphos, Paravit®, Phosdrin, Diazinon ou anti gale, Vapona®, Fatek®,…) sont des pesticides utilisés couramment en milieu agricole. Certaines substances ne sont plus commercialisées aux pays occidentaux mais probablement utilisées dans les pays d'Asie ou d'Afrique. Ils sont des dérivés esters, amides ou soufrés des acides phosphoriques. Ils sont peu solubles dans l'eau, peu volatils, mais très liposolubles. Ils se fixent aux cholinestérases : acétylcholinestérases du système nerveux central, des muscles et des globules rouges et pseudo-cholinestérases du système nerveux central et plasmatiques, s'opposant à l'hydrolyse physiologique de l'acétylcholine.
Les agents de guerre ou de terrorisme sont : Cyclosarin, Sarin, Soman, Tabun.
L'acétylcholine est un neurotransmetteur majeur. C'est le médiateur chimique de la transmission de l'influx nerveux au niveau des ganglions du système nerveux autonome (récepteurs nicotiniques, inhibés par les ganglioplégiques), des fibres post-ganglionnaires du système parasympathique (récepteurs muscariniques, inhibés par l'atropine), de la jonction neuromusculaire (récepteurs nicotiniques) et du système nerveux central.
- Le syndrome muscarinique associe des signes oculaires avec myosis, troubles de l'accommodation, photophobie; des signes respiratoires avec bronchospasme, hypersécrétion lacrymale, sudorale, nasale, salivaire et bronchique; des signes digestifs avec spasmes gastro-intestinaux et coliques, incontinence fécale, nausées et vomissements, des signes cardiovasculaires avec hypotension artérielle par vasoplégie, bradycardie, puis arrêt cardiaque.
- Le syndrome nicotinique est plus tardif, il associe des fasciculations musculaires, des crampes, une asthénie rapidement croissante par atteinte de la plaque motrice évoluant vers la paralysie des muscles striés et l'arrêt respiratoire.
- Le syndrome central associe des troubles du comportement avec ataxie, des crises convulsives de type tonico-clonique puis une encéphalopathie avec coma et dépression respiratoire.
L'intoxication aboutit à une hypoxie mortelle avec bronchospasme, bronchorrhée, inhalation bronchique, paralysie des muscles respiratoires. Un œdème pulmonaire précoce ou retardé dont l'origine lésionnelle hémodynamique ou mixte est discutée, peut également survenir. Une insuffisance circulatoire est possible (vasoplégie ou hypovolémie).
D'autres signes biologiques peuvent s’observer, notamment une hyperamylasémie par atteinte pancréatique. Une hyperglycémie est souvent retrouvée, ainsi qu'une hypokaliémie par transfert intracellulaire, une hyperleucocytose, une baisse du taux de prothrombine, et une protéinurie.
Conduite thérapeutique :
L'ATROPINE est l'antidote de l'intoxication par OP. Elle agit en compétition avec l'acétylcholine au niveau des récepteurs muscariniques, mais elle est sans effet sur les cholinestérases de la jonction neuromusculaire. Elle traite le bronchospasme et l'hypersécrétion bronchique sans lutter contre les phénomènes neuromusculaires.
La dose à administrer, est fonction de la gravité de l’intoxication, du poids et de la réaction du patient. En général : 2 à 4 mg par voie IV toutes les 10-15 minutes ou 0,015-0,05 mg/kg (chez l’enfant), jusqu'à apparition des signes d’atropinisation (bouche sèche, rougeur, tachycardie et mydriase), et maintenir une dose d’entretien de 0,02 mg/Kg/heure pendant 24 heures.
La PRALIDOXIME Contrathion® Adultes et enfants de plus de 12 ans: 1 à 2 g par perfusion intraveineuse. Il est fortement recommandé d’administrer le pralidoxime lentement. Enfants de moins de 12 ans: 20-50 mg/kg (selon le degré d’intoxication) mélangés à 100 ml de solution saline normale et administrés par perfusion intraveineuse étalée sur 30 minutes. La dose maximum varie de 2 à 12 g par 24 heures. L'intérêt de ces fortes posologies serait d'éviter le recours à la ventilation contrôlée. Cependant, les effets secondaires de perfusion rapides (500 mg/min) chez l'homme ne sont pas négligeables et associent tachycardie, poussée hypertensive, laryngospasme, voire bloc neuromusculaire. De plus, le coût de ce traitement est important, faisant même discuter son intérêt dans certains pays sous-développés (1).
Le Contrathion est un réactivateur des cholinestérases qui agit à plusieurs niveaux dans l'intoxication aux OP. Ce produit hydrolyse non seulement la liaison enzyme-inhibiteur, mais également l'inhibiteur, et agit en synergie avec l'atropine, en permettant la diminution des doses. La pralidoxime semble en effet présenter un effet atropine-like par interaction avec les récepteurs cholinergiques, d'où des effets antimuscariniques, antinicotiniques et ganglioplégiques, qui multiplient par cinq le pouvoir anticholinergique de l'atropine. La pralidoxime aurait, de plus, une action sur le retardement du vieillissement de l'enzyme. Cependant, elle doit être administrée très précocement sous peine d'être inefficace avec les neurotoxiques, entraînant un vieillissement rapide de l'enzyme. En revanche, ce produit ne passe pas la barrière hémato-encéphalique et n'est pas retrouvé dans le liquide céphalorachidien après injection parentérale, ce qui rend discutable d'éventuels effets centraux malgré certains cas d'amélioration clinique et électroencéphalographique sous oxime. Il n'existe aucun argument pour une action de réactivation des cholinestérases cérébrales (3).
CLASSIFICATION DES PESTICIDES :
1. Insecticides :
- Organophosphorés (OP) : provoquent une inhibition irréversible des cholinestérases.
- Organochlorés : (HCH ou Lindane, Chlordane, Dieldrine, Aldrin, Heptachlore,..)
- Carbamates : (Carbaryl, Baygon, Lannate, …) (Pyrethrinoïdes: Perméthrine, Decis, …), Ils provoquent une inhibition réversible des cholinestérases donc moins toxiques que les OP.
2. Herbicides :
- Paraquat, Diquat, Chlorophénoxys, Urées substituées, Triazines, Nitrophénols, etc… Le Paraquat est très toxique, il n'est plus commercialisé en Europe.
3. Fongicides :
- Carbamates (Benomyl), Dithiocarbamates (Mancozèbe)
- Phtalimides (Captafol), Nitrophénols (Dinocap), Dicarboximides
4. Raticides :
- Raticides anti vitamine K (Warfran®)
- Chloralose (Ratidose®) (Raticide®)
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
- SAÏSSY J.M., RÜTTIMANN M. : Intoxications par les organophosphorés, Médecine d'urgence 1999, Elsevier, Paris et SFAR, p. 103-120.
- SAVIUC P.: Organophosphorés et carbamates. In : Danel V, Barriot P, éd. Les intoxications aiguës. Paris : Arnette, 1993. p. 261-70.
- BISMUTH C.: Les oximes. In: Baud FJ, Barriot P, Riou B, éd. Les antidotes. Paris : Masson, 1992. p. 227-46
- H. THABET et col. : Intoxications par les pesticides organophosphorés : nouveaux concepts. Réanimation (2009) 18, 633—639
- ANSM, Agence nationale de sécurité du médicament : Fiche Piratox n°4 : «Organophosphorés : neurotoxiques de guerre et pesticides» 2010. Site web ANSM (en PDF).
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