ÉPIDÉMIOLOGIE :

Les scorpions, arthropodes appartenant à la classe des arachnides, comptent plus de 2500 espèces classés en 2 sous-ordres : les buthoïdes et les chactoïdes. Au moins 50 espèces sont considérées comme particulièrement dangereuses (principalement au sein des buthoïdes).
Ils sévissent principalement dans la zone intertropicale, en Amérique latine (Mexique, Brésil), en Afrique du Nord, au Moyen Orient et dans le sous continent indien. Wikipédia : Scorpions - espèces - toxines

Les toxines ont la particularité d’avoir un transit sanguin rapide (moins de 2 heures) limitant les délais d’efficacité des sérums antivenin (SAS). Ils se fixent dans divers tissus avec une affinité particulière pour les tissus nerveux (d’où l’appellation «neurotoxines») au niveau desquels ils modifient la perméabilité des canaux des membranes cellulaires, celui du Na en particulier, ceux du K, Ca, Cl, accessoirement.

LES ESPÈCES DANGEREUSES AU MAGHREB :

ANDROCTONUS AUSTRALIS

  • Le plus dangereux.
  • Espèce de grande taille, pouvant atteindre jusqu'à 10 cm.
  • Teinte brune avec des parties du corps (dos – pinces) souvent noires.
  • Queue épaisse jusqu’au 4ème anneau
  • Possède 6 toxines redoutables.

BUTHUS OCCITANUS

  • Peut-être dangereux.
  • Taille moyenne de 4 à 7 cm
  • Teinte claire, jaune uniforme de la tête à la queue.
  • La queue est grêle.
  • Possède 13 toxines identifiées à ce jour.

 PHYSIOPATHOLOGIE DES TOXINES DU SCORPION :

Plus de 100 toxines appartenant à différentes espèces ont été à ce jour isolées. Elles ont la particularité d’un grand polymorphisme biochimique et antigénique empêchant l’élaboration d’anticorps (sérums anti scorpioniques) ou d’anatoxine (vaccins) universels. 

Les composants actifs des venins de scorpions sont des neurotoxines peptidiques qui assurent l'essentiel de la toxicité du venin. Les toxines extraites sont de petites protéines connues pour affecter la perméabilité aux ions des membranes des cellules. Quatre grandes familles de toxines ont été décrites, spécifiques des canaux Na+, K+, Ca++, et Cl-.


Les canaux ioniques sont présents dans la membrane de toutes les cellules.

Ils ont un rôle central dans la physiologie des cellules excitables comme les neurones ou les cellules musculaires et cardiaques.

Les venins scorpioniques agissent par 3 mécanismes (1) :

  1. une action toxique directe sur les tissus et les organes
  2. une décharge massive des neurotransmetteurs : activation des canaux cellulaires sodiques, potassiques et calciques des cellules nerveuses et probablement des fibres musculaires striées. La conséquence directe de cette activation est une libération massive des neuromédiateurs : catécholamines, acétylcholine, glutamate et GABA. Ces neuromédiateurs sont à l’origine d’une défaillance cardiaque, respiratoire, neurologique et digestive.
  3. une réaction inflammatoire systémique. Le taux des cytokines plasmatiques est corrélé avec la gravite du tableau clinique et le pronostic vital. Une réaction inflammatoire systémique (SIRS) est responsable de défaillances cardiaque, respiratoire et neurologique

La réponse cardiovasculaire de l’organisme à l’envenimation scorpionique se produit en deux phases :

- La première, vasculaire périphérique secondaire à la libération massive des catécholamines et d’autres peptides vasoconstricteurs.

- La seconde, consiste en des modifications structurales, morphologiques et fonctionnelles de la performance du myocarde.

  • En pratique clinique la première phase survient rapidement après envenimation. Elle est caractérisée par une élévation transitoire de la pression artérielle systémique. L’hypertension peut coexister dans de rares cas avec un œdème pulmonaire.
  • La seconde phase est celle d’une défaillance myocardique (pressions de remplissage du VG élevées, et débit cardiaque abaissé) et la pression artérielle longtemps conservée (grâce à l’augmentation de résistance vasculaire systémique RVS), s’abaisse signant ainsi l’installation de l’état de choc.
  • Plusieurs études tunisiennes (2)(6) ont démontré la nature hémodynamique de l’oedème pulmonaire de l’envenimation scorpionique : c'est un OAP cardiogénique.
  • Trois hypothèses sont évoquées pour expliquer la dysfonction cardiaque. Il s’agit de la myocardite adrénergique (décharge massive de catécholamines), la myocardite toxinique (effet direct du venin sur les membranes des cellules myocardiques), et l’ischémie myocardique.
  • La cardiopathie scorpionique a trois caractéristiques qui en font l’originalité : sévérité, atteinte bi-ventriculaire dans des proportions similaires, et réversibilité.

LES MANIFESTATIONS CLINIQUES :

Le patient peut être simplement piqué avec des signes locaux seulemnt ou envenimé présentant alors des signes généraux.
Les manifestations cliniques de l’envenimation sont très variables d’un patient à l'autre aboutissant à des tableaux cliniques divers.

Les facteurs de risque sont :

  • L’âge du malade : l’adulte jeune est le plus touché par les piqûres, mais nous retrouvons les taux de létalité plus importants aux âges extrêmes particulièrement les enfants moins de 15 ans.
  • La taille du scorpion : la quantité de venin inoculée peut-être proportionnelle à la taille du scorpion.
  • Le siège anatomique de la piqûre : les membres sont plus fréquemment touchés, mais la piqûre est plus dangereuse dans les régions vascularisées
  • Les tares associées
  • La saison : la période chaude est la plus redoutable
  • Scorpions des regions tropicales. Les envenimations sont peu dangereuses dans les pays froids comme l'Europe.

Trois stades de gravité sont décrits :

  • Grade I ou piqûre simple sans envenimation (85% des cas) :

Caractérisée par la présence d’un ou de plusieurs signes locaux (douleur, rougeur, oedème, engourdissement, ..) sans aucun signe général. La douleur est localisée, très violente et peut durer 24 heures.

  • Grade II : envenimation :

- La présence du venin dans la circulation générale se manifeste par des signes généraux (hyperthermie ou hypothermie, frissons, nausées, douleurs abdominales, ballonnement abdominal, diarrhée, rétention d'urines, ...).

- Les signes prédictifs de gravité (priapisme, vomissements, hypersudation, fièvre > 39°C) annoncent l’évolution imminente vers le stade III.

- Une élévation de la pression artérielle systémique est fréquente mais elle est transitoire et cède rapidement la place à l’hypotension et l’état de choc.

  • Grade III : caractérisée par les signes de détresse vitale  (3% environ):

-La défaillance cardio-circulatoire est fréquemment la cause du décès. Elle se manifeste par un état de choc. On peut observer à ce stade une tachycardie, des troubles du rythme ou de conduction et même une élévation de troponine (en cas de myocardite). Ces perturbations hémodynamiques profondes, sont liées à une décharge très intense de catécholamines rendant compte de la vasoconstriction intense, l’élévation de la pression artérielle et de la dysfonction ventriculaire gauche initiale.
- Insuffisance respiratoire aigue : polypnée, cyanose, encombrement bronchique, et à l’extrême un oedème aigu du poumon  (OAP) cardiogénique ou lésionnel.

- Signes neurologiques : c’est une souffrance cérébrale secondaire à l’hypoxie et pouvant se manifester par l’agitation, l’irritabilité, les fasciculations, l’obnubilation, les convulsions, modifications pupillaires puis s’installe un coma de profondeur variable.
-Certains auteurs ont rapporté des AVC et des pancréatites.

CONDUITE À TENIR :

A- Grade I :

  • La douleur est un signe quasi constant. Le PARACÉTAMOL comme antalgique trouve toute son indication dans ce contexte. Application locale d’une crème anesthésiante (type Emla® 5%) ou vessie de glace.
  • Scarification, succion, application plantes et substances diverses : NON
  • Ralentissement de la diffusion par garrot : NON
  • Corticoïdes : NON
  • Détersion – désinfection – vaccination anti tétanos : OUI et obligatoires
  • Même en absence de signes généraux, une SURVEILLANCE AUX URGENCES DE 4 HEURES est nécessaire.
  • Un transport médicalisé par SMUR et l’admission dans un service de soins intensifs s'imposent aux autres stades.

B-  Sérum anti scorpionique :

  • L’immunothérapie (sérum antivenin SAV ou antiscorpionique SAS) est largement discutée dans la littérature, indispensable pour les uns, peu ou pas efficace pour d'autres, les données expérimentales et cliniques récentes sont venues jeter un doute sur son efficacité clinique.Les effets de l’envenimation sont présents et même plus importants lorsque l’antivenin est administré 60 minutes après le venin.
  1. La première explication à l’inefficacité du sérum antiscorpionique procède de la physiopathologie de l’envenimation grave: les effets du venin ont lieu à travers la libération d’un certain nombre de médiateurs sur lesquels le sérum anti-scorpionique n’a aucun effet.
  2. La deuxième explication tient aux différences pharmacocinétiques majeures entre le venin et les immunoglobulines totales que l’on administre dans le sérum anti-scorpionique. Le venin a une action plus rapide que les immunoglobulines.
  • La précocité de la sérothérapie est donc importante : il s'agit d'intercepter les toxines circulantes avant qu'elles atteignent les récepteurs membranaires des cellules des tissus excitables auxquels elles se lient avec une haute affinité. En pratique, compte tenu du pouvoir neutralisant des SAV antiscorpioniques, un volume de 40 à 60 ml de SAS, dilué au dixième dans du sérum physiologique chez l’adulte, au quart chez l’enfant, sera administré en perfusion intra-veineuse (400 ml en une heure chez l’adulte).
  • Les accidents de type anaphylactique ou anaphylactoïde sont rares et seront traités par remplissage vasculaire, catécholamines (adrénaline) et corticothérapie (effet tardif).
  • Les sérums anti scorpioniques actuellement utilisés restent spécifiques à chaque pays ou à chaque région.

C-  Traitement des troubles cardio-respiratoires :

  • Le traitement de l’état de choc chez le malade grade III repose sur les agents vasoactifs type DOBUTAMINE, en effet son action inotrope est liée aux effets combinés des activités α1 et β1 et l’amélioration de la fonction ventriculaire passe par une amélioration de la contractilité et par la modification des conditions de charge bi-ventriculaires.
  • La posologie varie de 7,5 à 20 µg/Kg/min maximum en perfusion, dose à augmenter par palier toutes les quinze min jusqu’à stabilisation de l’état clinique (disparition des signes de l’état de choc) et reprise d’une diurèse supérieure à 0,5 ml/kg par heure. Le sevrage de la dobutamine doit se faire de façon progressive après stabilisation durable de l’état hémodynamique (24 à 48 heures).
  • L’administration de la dobutamine est associée au REMPLISSAGE VASCULAIRE par du sérum salé isotonique; 5 ml/kg par 30 minutes chez l’enfant et 250 ml/30 minutes chez l’adulte, avec précaution afin d’éviter toute surcharge volémique pouvant aggraver l’oedème pulmonaire.
  • Le traitement symptomatique de l’OAP (oxygénothérapie, CPAP, dérivés nitrés, et diurétiques), ou du choc cardiogénique (dobutamine), a prouvé son efficacité dans le contexte de l’envenimation scorpionique grave.

C- Prévention :

- Précautions individuelles :

Dans les zones à risques, la saison chaude et la nuit, se protéger en portant des chaussures et en évitant de manipuler les sites à risques.

- Proverbe arabe : "Ne mettez jamais vos doigts dans les trous sinon vous risquez d'être piqué par les sorpions"

Se rappeler aussi que "le scorpion se cache sous les pierres".

LA CONDUITE À TENIR EST DIFFÉRENTE SELON LE STADE DE GRAVITÉ:

    CLASSIFICATION CLINIQUE DES PIQÛRES ET DES ENVENIMATIONS SCORPIONIQUES  .
 Grade  Signes cliniques  Signes biologiques  Conduite à tenir
 0  Simplement piqué. Douleur minime.
Pas d’ecchymose ni d’œdème
 - Surveillance 4 H
 1

Douleur vive, ecchymose et/ou œdème localisés
Paresthésies locales

Absence de signes généraux ni de facteurs de risque

 - Traitement antalgique
Surveillance 6 -12 H
 2

Signes généraux et signes muscariniques.
Ballonnement abdominal, nausées, diarrhée, vomissements. Sueur profuses, somnolence ou agitation, fasciculation du membre mordu, Sialorrhée, larmoiements, myosis ou mydriase, priapisme. Hypertension artérielle, bradycardie ou tachycardie

Leucocytose, thrombocytose, augmentation du CRP, glycémie, acide lactique et anomalies électrolytes sanguins (Na, K)

Surveillance signes vitaux, abord veineux, oxygène
Antivenin (SAS)
Transport médicalisé à l’hôpital
 3 Convulsions, troubles de la conscience
Myocardite, arythmie, Cyanose des extrémités, dyspnée grave, œdème aigu du poumon, état de choc
 Idem + augmentation : CPK, SGPT, SGOT, lipase, amylase. ECG et troponines si myocardite Réanimation
Antivenin (SAS) Dobutamine

Le traitement débute au centre de santé de base. En cas de signes de gravité, le patient sera adressé par SAMU au service d’urgence le plus proche. (Au Maroc on recommande de débuter la perfusion de Dobutamine au stade 2)

PRÉVENTION ANTITÉTANIQUE : en cas de scarification et en absence de vaccination antérieure.

LES RECOMMANDATIONS DU MINISTÈRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE (TUNIS, CIRCULAIRE N° 57/98)* :

* SAS ou Sérum Anti Scorpionique :

  • Est le seul traitement spécifique,
  • Agit sur 2 espèces de scorpion en Tunisie,
  • Inutile si scorpion noire,
  • Risque d'allergie (!).
  • Doit être précoce dans les 4 premières heures et en intraveineux.
 L’antivenin (SAS) est administré par voie veineuse, soit en perfusion (dilué à 10%, en 30 minutes pour 100 mL), soit en intraveineuse directe lente (3 minutes pour 10 mL). La posologie est directement liée à l’évaluation de la gravité de l’envenimation. La voie veineuse permet la neutralisation immédiate et définitive des toxines. Les accidents de type anaphylactique sont rares. Plus fréquentes sont les réactions locales habituellement mineures. Des accidents tardifs (maladie sérique) peuvent survenir dans un petit nombre de cas.
Les principaux antivenins disponibles en Afrique et au Moyen-Orient sont Scorpifav®, de l’Institut Pasteur de Paris, Sérum antiscorpionique® de l’Institut Pasteur de Tunisie, Scorpion antivenon® du South African Vaccine Producers d’Afrique du Sud. Le Scorpifax® neutralise Buthus occitanus, Androctonus australis, Leiurus quinquestriatus. (7)(11)

 POUR EN SAVOIR PLUS :

 Stratégie nationale [Maroc] de lutte contre les piqûres et les envenimations scorpioniques:
Publication officielle du Centre Anti Poison du Maroc, 3 bulletins spéciaux publiés :

  • Piqures et envenimations scorpioniques : l’état des lieux (statistiques 1999-2017). Toxicologie Maroc - N° 33 - 2ème trimestre 2017.
  • Piqûres et envenimations scorpioniques : Conduite à tenir. Toxicologie Maroc - N° 34 - 3ème trimestre 2017
  • Les piqûres et les envenimations scorpioniques N°2-2009

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

  1. Bahloul M. et col. : Les envenimations scorpioniques graves : physiopathologie et rôle de l'inflammation dans la défaillance multiviscérale. Médecine et Santé Tropicales 2017; 27 : 214-221
  2. Elatrous S. et al. : Les envenimations scorpioniques graves, Médecine Tropicale 2008; 68 : 359-366
  3. Charrab N. et al. : Les envenimations scorpioniques à l’hôpital provincial de Beni Mellal (Maroc), Médecine Tropicale, 2009, 69, 1, 33-36
  4. Sanae Achour et al. : Les facteurs prédictifs du décès par envenimation scorpionique à la province d’El Kelâa des Sraghnas – Maroc, Annales de Toxicologie Analytique 2009; 21(2): 73-78
  5. Soulaymani Bencheikh R. et al. : Conduite à tenir devant une piqûre de scorpion au Maroc, Mise au point, Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 27 (2008) 317–322
  6. Nouira S. et al.: A clinical score predicting the need for hospitalization in scorpion envenomation. Am J Emerg Med 2007; 25 : 414-9.
  7. Pierre Aubry, Docteur Bernard-Alex Gaüzère : Envenimations par les animaux terrestres Actualités 2018 - http://medecinetropicale.free.fr/cours/envenimation_terrestre.pdf
  8. Besbes L, : L’envenimation scorpionique : aspects cliniques, physiopathologiques et thérapeutiques. Reanim Urgences 2001; 9 suppl 2 : 45-50.
  9. Goyffon M. et all.: Envenimation VI, le scorpionisme en Afrique, Médecine Tropicale 2007; 67 : 439-446
  10. Infotox : Bulletin de la Société de Toxicologie Clinique- N°15 - JUIN 2002
  11. CHIPPAUX J.-P : Prise en charge des piqûres de scorpion en Afrique et au Moyen-Orient. Médecine et Santé Tropicales 2016; 26 : 130-133
  12. SUBASH VIJAYA KUMAR AND SASIKALA M : Scorpion stings, a short review. International Journal of Pharmacology & Toxicology/5(1), 2014, 10-17.
  13. Mounir Bouaziz & col : Dobutamine in the treatment of severe scorpion envenoming. Toxicon 182 (2020) 54–58

© 2016-2018 efurgences