Le traitement des envenimations vipérines graves repose sur l’immunothérapie spécifique mais très peu de pays ont les moyens de produire des venins de qualité suffisante pour la fabrication des sérums.
L’OMS a officiellement inscrit en juin 2017 l’envenimement dans la liste des maladies tropicales négligées prioritaires. Elle a mis en ligne une base de données pour identifier les espèces de serpents par région ou pays et rechercher le sérum correspondant (lien en bas de cet article).
ÉPIDÉMIOLOGIE :
La fréquence des morsures de serpent est très sous-estimée et les études épidémiologiques manquent.
Selon l’OMS, on estime que 1,8 million à 2,7 millions de personnes sont mordues chaque année par des serpents venimeux, et entre 81.000 et 138.000 personnes en décèdent chaque année. Pour chaque personne qui décède suite à une morsure de serpent, on estime que 4 ou 5 personnes supplémentaires gardent des incapacités telles que la cécité, la mobilité restreinte ou l’amputation, et/ou le stress post-traumatique.
D’après les statistiques du centre antipoison du Maroc (5) l’incidence était de 0,2 pour 100.000 habitants par an, la létalité globale était de 7,2% et de 13,18% chez les enfants. Ces envenimations touchent souvent la population rurale, à la campagne ou en forêt, pendant la saison chaude (printemps, été). La majorité des morsures surviennent aux membres inferieurs.
En Tunisie, l’incidence ainsi que la morbidité des envenimations ophidiennes viennent en deuxième rang après celles des scorpions. Durant les années 1993-2007, les morsures de serpents déclarées étaient au nombre de 250 cas annuellement à l’origine de 2 décès par an (11).
La mortalité est liée aux difficultés d’accès aux centres de soins, au recours à la médecine traditionnelle, au manque de formation du personnel soignant et surtout à la pénurie des sérums antivenimeux.
PHYSIOPATHOLOGIE :
Les serpents (ou ophidiens) sont des reptiles répandus partout dans le monde mais seuls ayant des crochets et de glandes à venin sont dangereux. On compte approximativement 600 espèces de serpents venimeux et environ 50 à 70% de leurs morsures provoquent une envenimation par l’intermédiaire de leurs toxines et/ou leurs enzymes.
Deux familles sont dangereuses pour l’homme, le mécanisme d’action est différent :
- les Élapidae (Cobras ou Naja) : sont les plus dangereux et qui entrainent des paralysies des muscles striés et une paralysie respiratoire en quelques heures. Ils agissent avec des neurotoxines qui bloquent la transmission neuromusculaire par leur action sur l’acétylcholine au niveau des synapses.
- les Viperidae (vipère à cornes en Afrique et en Asie, serpent corail en Amérique, Elapidae marins en Australie et l’océan pacifique,..) sont responsables du syndrome vipérin : un syndrome inflammatoire clinique (douleur, œdème) et biologique (hyperleucocytose, protéinurie), parfois accompagné d’une hypotension ou d’un état de choc et d’un syndrome hémorragique.
Serpent viperidé (vipère à corne) de l'Afrique du nord |
Serpent Cobra Naja de l'Afrique du nord |
Les venins des vipéridés et crotalidés sont une mixture d’enzymes nécrosantes, procoagulantes, anticoagulantes et fibrinolytiques qui ont sur la coagulation une action complexe, multifactorielle et variable d’une espèce à l’autre. Les troubles de coagulation provoquent des hémorragies, une CIVD et des thromboses.
TABLEAUX CLINIQUES :
Les manifestations cliniques sont variables selon l’espèce. Dans tous les cas la douleur est constante. On recherche les traces de morsure : deux plaies ponctiformes séparées de 1 cm, entourées d’œdème et d’ecchymose. En absence de venin l’évolution est favorable. Dans le cas contraire, les signes cliniques apparaissent dans les heures qui suivent.
1) Syndrome cobraique ou neurotoxique (Élapidés) :
Syndrome muscarinique : vomissements, hypersudation, sialorrhée, diarrhée, myosis
Signes neurologiques : Paresthésies du membre mordu. Ptose palpébrale bilatérale pathognomonique,
Atteinte des paires crâniennes : troubles de la déglutition, dysphonie, rictus (paralysie de la bouche), dysphagie,
Dyspnée puis détresse respiratoire par paralysie du diaphragme et des muscles respiratoires
2) Syndrome inflammatoire et hémorragique (Viperidés) :
- Syndrome inflammatoire : œdème local qui peut s’étendre progressivement à tout le membre et au tronc, on peut observer des phlyctènes plus ou moins importants.
- Syndrome hémorragique : saignement avec ecchymoses étendues, hématomes et risque d’hémorragie (épistaxis, gingivorragies, hémorragies digestives, obstétricales, rétiniennes, péritonéale, méningée) voire une anémie aigue.
Les conséquences sont des syndromes de loges, des thromboses, des ischémies et des nécroses cutanées localisées ou la gangrène d’un membre.
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Ptosis palpébrale et rictus | Œdème du membre, nécrose cutanée et phlyctènes |
CONDUITE À TENIR DEVANT UNE MORSURE DE SERPENT :
1) Traitement symptomatique :
- Le patient doit rester couché, au repos et être réconforté : toute activité motrice est susceptible de favoriser la diffusion du venin.
- Désinfection de la plaie, détersion, prévention du tétanos.
- Ne pas faire des scarifications ni de garrot ni d’aspiration. La pompe à venin (ASPIVENIN®, VENIMEX®) n’a jamais prouvé son efficacité.
- Toute morsure doit être traitée en urgence, une surveillance hospitalière de 24 heures au moins est nécessaire même en absence de signes cliniques.
- Bilan biologique : Numération érythrocytaire et plaquettaire (NFS), taux de prothrombine (TP) ou INR, temps de céphaline activée (TCA), dosage du fibrinogène, bilan rénal, CPK, d-dimères et groupage sanguin.
- Traitement de la douleur : le Paracétamol est le médicament de choix, si douleur importante : morphiniques (Codéine, Tramadol, Chlorhydrate de Morphine) avec prudence à cause du risque de dépression respiratoire. Éviter l’Aspirine à cause de son action anti-agrégante plaquettaire.
- L’œdème est traité par les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Les corticoïdes ne sont pas indiqués.
- Les antibiotiques ne sont pas utiles sauf si signes avérés d’infection.
2) Traitement des formes graves en réanimation :
- En cas d’hémorragies : traitements substitutifs (transfusion, plasma frais congelé, etc.) ne doivent être administrés que 30 minutes après le sérum antivenin.
- Les troubles neurotoxiques pourront être traités par de l’Atropine au stade du syndrome muscarinique en association avec Néostigmine (parasympathomimétique indirect, inhibiteur des cholinestérases) pour le syndrome cobraique (grades 3 et 4 des troubles neurologiques).
- Intubation et assistance respiratoire dans les détresses respiratoires
- Traitement chirurgical des nécroses cutanées, syndrome de loges et gangrènes après stabilisation des signes vitaux.
3) Traitement spécifique : sérum antivenin (SAV) :
Les immunoglobulines de sérum antivenimeux de serpent sont le seul traitement spécifique contre les morsures de serpent. Ils peuvent prévenir ou inverser la plupart des effets d'envenimation provoqués par les morsures de serpents et jouent un rôle crucial dans la réduction de la mortalité et de la morbidité. Ces médicaments sont inscrits sur la liste des médicaments essentiels de l'OMS.
Il s’agit de fragments F(ab’)2 d’immunoglobulines équines purifiés antivenimeuses polyvalentes (dirigés contre les venins d’espèces les plus fréquemment rencontrées dans la zone concernée, on peut citer (selon l'OMS):
Anti-viperin® Institut Pasteur d'Algérie
Favirept® Sanofi-Pasteur France
Gamma-Vip® Institut Pasteur de Tunis
Polyvalent Anti-viper Venom® VACSERA Égypte
FAV-Afrique® Sanofi-Pasteur France
L’antivenin est administré une ampoule quelque soit l’âge, en intraveineuse lente ou en perfusion de une heure, Il est dilué au 1/10è dans les cristalloïdes (NaCl 0,9%).
Effets indésirables immédiats : choc anaphylactique à traiter par l’adrénaline, remplissage par les cristalloïdes et injection de corticoïdes.
Effets indésirables tardifs : maladie sérique (fièvre, arthralgies, myalgies, urticaire, adénopathies) à traiter par un antihistaminique ou corticoïde dans les formes graves.
Évaluation de la gravité des envenimations ophidiennes par gradation des principaux syndromes [d’après CHIPPAUX J-P (3)] |
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GRADE 0 | - Absence d’envenimation (morsure sèche) - Douleur minime, Trace de crochets, Gonflement local, Ecchymose circonscrite |
Désinfecter la plaie, VAT Surveillance 6H Antivenin = non |
GRADE 1 | - Douleur intense, Œdème localisé ne dépassant pas l’articulation adjacente
- Saignement local persistant plus d’une heure - Anesthésie locale, Fourmillements, picotements du membre mordu, fasciculations muscles peauciers du membre mordu - Signes biologiques d’hémostase = normaux |
Idem grade 0
Antivenin = 1 ampoule* Hospitalisation et surveillance Traitement symptomatique |
GRADE 2 | - Œdème progressif ne dépassant pas 2 articulations contigües
- Saignement - Syndrome muscarinique (vomissements + hypersudation + sialorrhée + diarrhée + myosis) - Signes biologiques d’hémostase = perturbés |
Idem grade 0
Antivenin = 2 ampoules* Hospitalisation et surveillance Traitement symptomatique |
GRADE 3 | - Œdème extensif ne de passant pas la racine du membre
- Ecchymose étendue, Hématomes distants, Purpura, Phlyctènes distantes - Syndrome cobraique : Acouphènes, phosphènes (troubles de la vision), dysgueusie (altération du goût), Ptose palpébrale bilatérale, Rictus (paralysie de la bouche), Dysphagie, Dyspnée - Anémie et troubles de l’hémostase |
Idem grade 0
Antivenin = 2 ampoules* Hospitalisation et surveillance Traitement symptomatique |
GRADE 4 | - Œdème dépassant la racine du membre (anasarque)
- Hémorragie interne (péritonéale, méningée), Anémie aigue - Paralysie motrice flasque, Communication impossible - Détresse respiratoire - Troubles de l’hémostase |
Réanimation en soins intensifs Antivenin = 2 ampoules* |
(*) La posologie de l’antivenin est directement liée à l’évaluation de la gravité de l’envenimation :
- Persistance ou apparition de saignements, renouveler le traitement antivenimeux : une ampoule à la deuxième puis à la sixième heure (H2, H6). - Persistance ou apparition des signes neurologiques, renouveler le traitement antivenimeux : 4 ampoules |
En bas, Algorithme proposé par la Société Africaine de Venimologie :
Base de données OMS : espèces de serpents et sérum disponible par pays et par région
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
1. RESIERE D. et col. : Les morsures de serpent par Bothrops lanceolatus en Martinique. Médecine et Santé Tropicales 2018; 28 : 37-43
2. PIERRE AUBRY, BERNARD-ALEX GAÜZÈRE : Envenimations par les animaux terrestres, actualités 2018. Site de Médecine tropicale (PDF)
3. CHIPPAUX J-P : Prise en charge des morsures de serpent en Afrique subsaharienne. Médecine et Santé Tropicales 2015; 25 : 245-248
4. C. CAENS-DAUDIN, M. GUERBET : Le point sur le traitement des morsures de vipères. Lyon Pharmaceutique 2001, 52, 182-188
5. CENTRE ANTI POISON DU MAROC : Envenimations ophidiennes au Maroc. Bulletin Toxicologie Maroc - N° 9 - 2ème trimestre 2011 – 3
6. CHTARA K. et col. : Une complication rare de l'envenimation vipérine, la défaillance cardiaque, à propos d'un cas. Médecine et Santé Tropicales 2017; 27 : 52-55
7. ISSAM SERGHINI et col. : Envenimation vipérine grave, conduite à tenir. Le Praticien en anesthésie réanimation (2016), Elsevier doi 10.1016/j.pratan.2016.07.006
8. H. CHABLI et col. : Épidémiologie des envenimations vipérines en réanimation pédiatrique à l’hôpital d’enfants de Marrakech (Maroc). Archives de Pédiatrie 2014; 21:1293-1298
9. J.-P. BELLEFLEUR, P. LE DANTEC : Prise en charge hospitalière des morsures de serpent en Afrique. Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 4, 273-276
10. G. MION et col. : Action des venins sur la coagulation sanguine: diagnostic des syndromes hémorragiques. Bull Soc Pathol Exot, 2002, 95, 3, 132-138
11. HAMOUDA C. et col.: Envenimations par les serpents en Tunisie, TAWAREK 2009, No 4, 33-40
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