Toutes les plantes, même les consommables, peuvent contenir des composés chimiques responsables d’effets indésirables et toxiques. C’est la notion de dose qui est déterminante. Plusieurs plantes en vente par les herboristes et utilisées en médecine traditionnelle peuvent présenter une menace vitale pour la santé.
D’après les statistiques du centre antipoison du Maroc (CAPM), de 1980 à 2008, les 2/3 des intoxications par les plantes sont accidentelles. Les plus fréquentes sont : Chardon à glu ou Addad 10,6%, Cannabis 10,1%, Datura 3,6% et Ricin 2,3%. En 2017, on a recensé 197 cas d'intoxications dont 4 sont mortelles.
Les intoxications par les plantes sont rarement signalées spontanément par les utilisateurs et leur entourage, il est donc important de penser à les évoquer devant un syndrome d'agitation et de confusion chez l'adolescent ou l'adulte jeune. Une analyse du sang et des urines peut étayer le diagnostic.
1) INTOXICATIONS AU DATURA :
Le Datura est une plante herbacée annuelle de la famille Solanaceae, à odeur fétide, la taille varie de 30 cm à 2 m de haut. Il existe plusieurs variétés comme le Datura Stramonium ou Datura Metel.Toutes les parties de la plante sont toxiques.
- Les feuilles sont relativement grandes, jusqu'à 20 cm, ovales. Elles sont à contour zigzagué pour le Datura stramonium et régulier pour le Datura metel (photos).
- Le fruit est une capsule, mesurant 5 cm environ de diamètre, recouvert d'épines effilées. Il renferme des multiples graines brunes de 2 à 3 mm.
- Les fleurs sont blanches ou jaunâtres s'ouvrant en entonnoir à cinq lobes et se dirigent vers le haut. Période de floraison : Juillet octobre.
Utilisée depuis l’antiquité comme plante médicinale. E. Schmidt, en 1892, a isolé un médicament antispasmodique très connu : Scopolamine ou Hyoscine (BUSCOPAN®).
Plusieurs noms selon les pays :
Connu au Maroc sous ses noms arabes : chedcq-e-jemel, Alghita, et amazigh : taburziguen’t.
En Tunisie : Koukhra.
Les principes actifs sont trois alcaloïdes anti cholinergiques : l’hyoscyamine, l’atropine et la scopolamine
Circonstances de l'intoxication : Vu son caractère ornemental,la plante est souvent retrouvée dans les jardins des maisons et les lieux publics. Elle est responsable parfois d'intoxications accidentelles chez l'enfant ou volontaires chez les adolescents. Les feuilles, les racines et les graines peuvent être mâchées, consommées en infusion (avec le thé), ou même fumées.
Signes cliniques :
L’intoxication est annoncée par une mydriase avec photophobie et vue trouble, rapidement suivies par une sécheresse de la bouche, une soif intense, une dysphagie, des nausées et une difficulté de l’élocution. Des signes cardio-vasculaires : tachycardie, palpitations et hypertension artérielle.
Signes neuropsychiques constants : délire, hallucinations, amnésie, état confusionnel rappelant l’ivresse alcoolique et un coma dans les formes graves.
L’évolution est habituellement favorable après quelques heures.
Les formes graves se compliquent de convulsions, hyperthermie maligne pouvant atteindre 41°C, tachycardie sinusale et fibrillation ventriculaire. Très rarement, le pronostic vital peut être menacé par des troubles de rythme et arrêt cardiorespiratoire.
De fortes doses peuvent entraîner un coma, une paralysie médullaire et décès.
Traitement :
- Il n'existe pas d'antidotes
- Épuration digestive : Charbon végétal activé ou lavage gastrique lorsque le patient est conscient, après intubation lorsque le patient est comateux.
- Diazépam (VALIUM) en cas d’agitation, de délire, d’hallucinations et/ou de convulsions.
- Réhydratation NaCl 0,9%
- Surveillance clinique des paramètres vitaux. ECG et monitorage continue de la fonction cardiaque.
- Dans les formes graves : intubation et ventilation assistée.
2) LE CHARDON À GLU :
À ne pas confondre avec l’artichaut sauvage ou encore avec d’autres astéracées comestibles comme le Chardon-Marie (Sylibum marianum) qui est une plante non toxique et utilisée comme traitement des hépatites.
L’atractyloside et la carboxy-atractyloside contenus dans la plante sont des poisons mitochondriaux qui inhibent les réactions du cycle de Krebs et perturbent la respiration cellulaire.
Il s'agit d'une herbacée, vivace, épineuse, à grosse racine lui permettant de se maintenir pendant de nombreuses années. Les fleurs apparaissent en été, entre les mois de juin et juillet. Elles sécrètent avec la racine une sorte de glu.
- L'ingestion du chardon à glu est mortelle le plus souvent. On observe des troubles digestifs (vomissements, diarrhée), neurologiques (convulsions, coma) et hématologiques (purpura, hémorragies). Les complications respiratoires, cardiovasculaires, hépatiques et rénales sont fatales.
Au Maroc, entre 2009 et 2018, le centre antipoison CAPM a reçu 98 cas d’intoxications par chardon à glu. Parmi eux, 41,8% étaient des enfants. Le décès a été observé chez 13 patients, ce qui correspond à un taux de létalité de 13,26% avec une forte prédominance chez l’enfant.
- Le traitement n’est que symptomatique.
3) ATROPA BELLADONNA :
Cette plante contient la teinture de belladone à action anti inflammatoire et anti fièvre. Le belladone n'est plus commercialisé comme médicament mais peut exister sous forme d'excipient ou dans les médicaments homéopathiques. Intoxication comparable à l'atropine. Le syndrome anticholinergique peut survenir
- avec des effets centraux (confusion, agitation, hallucinations allant jusqu'au délire, convulsions et coma)
- et des effets périphériques (mydriase, sécheresse de la peau et des muqueuses, rétention urinaire et atonie intestinale).
Le traitement est symptomatique. Dans les cas graves il est préconisé de donner la Physostigmine qui est un inhibiteur réversible des cholinestérases. Il agit à la fois sur les symptômes anticholinergiques centraux et périphériques..
4) RICINUS COMMUNIS :
La ricinine est une glycoprotéine extraite des graines sous forme de poudre blanche, elle provoque une intoxication mortelle pour l'homme et les animaux. Sa toxicité dépasse de loin celle du cyanure ou du venin de serpents les plus nocifs.
Les cas publiés d’intoxications chez l’homme sont rares. Actuellement classée parmi les armes chimiques et biologiques de terrorisme. La poudre blanche adressée par lettres anonymes est un moyen de bioterrorisme rapportée dans plusieurs pays comme l’USA et l’Allemagne.
Par voie injectable ou par inhalation, elle est mortelle à des doses minimes de quelques dizaines de microgrammes. Par voie orale, en théorie, une seule graine pourrait être mortelle chez l'adulte : 1g de graine contient environ une dose de 1 mg de ricine pure. Les doses létales varient de 3 à 8 graines selon les personnes et leur âge.
Diagnostic :
- Par voie digestive : Les premiers signes et symptômes apparaissent le plus souvent dans un délai de 3 à 6 heures: vomissements, douleur abdominale, diarrhées profuses parfois sanglantes entraînant une déshydratation avec hypotension voire défaillance circulatoire. Le décès survient dans un tableau de déshydratation, état de choc et insuffisances rénales et hépatiques.
- Par inhalation : La ricine dispersée sous forme de poudre ou d’aérosol peut entraîner dans un délai variant de quelques minutes à plusieurs heures des signes d’irritation oculaire (sensation de brûlure, larmoiement, conjonctivite plus ou moins sévère) et pharyngée ainsi qu’une irritation respiratoire plus ou moins marqués : toux, dyspnée, œdème pulmonaire pouvant conduire à un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA).
- Laboratoire : la ricinine peut être identifiée et dosée dans le plasma et les urines par test immuno-enzymatique (ELISA). Elle est détectable dans le plasma dès le 1er jour, et après plusieurs jours seulement dans les urines. Elle est présente aussi dans les selles.
Conduite à tenir :
Le traitement est essentiellement symptomatique : réanimation hydro-électrolytique, vasopresseurs, maintien des fonctions vitales. Le lavage gastrique et/ou le charbon végétal activé peuvent être employés en absence de contre-indication.
En cas d’inhalation : enlever tous les vêtements, se laver par eau et savon, irriguer les yeux exposés avec des quantités abondantes d’eau ou de soluté saline isotonique, évacuer les locaux, oxygénothérapie voire assistance respiratoire.
Il n’existe aucun antidote.
5) INTOXICATION AU CYANURE :
L’Amygdaline est en vente par internet ou par les herboristes comme étant un remède contre le cancer et nommé à tord «vitamine B17». Ce vitamine n'existe pas en fait et aucune étude n'a démontré son efficacité contre le cancer.
Le cyanure inhibe le cycle de Krebs au niveau des mitochondries et provoque une anoxie tissulaire.
En outre, il existe aussi des intoxications par le cyanure en cas d'inhalation de fumée d'incendie. Voir notre article sur ce sujet.
- La symptomatologie : Une céphalée, des troubles digestifs, des convulsions, une détresse respiratoire, troubles du rythme cardiaque, voire un coma.
- Traitement : Le traitement repose sur l’oxygénothérapie, traitement des troubles du rythme et l’administration d’un antidote : l'Hydroxocobalamine (vitamine B12 injectable), ce dernier est commercialisée sous le nom de Cyanokit®).
6) INTOXICATION PAR LES CHAMPIGNONS :
Les intoxications suite à l’ingestion de champignons surviennent durant la période de récolte : entre Août et décembre. Les signes cliniques se manifestent après un délai de 6 heures par des signes digestifs et qui aboutissent dans les formes graves à l'insuffisance hépatique mortelle. Voir notre article : les champignons toxiques.
7) HARMEL (PEGANUM HARMALA L.) :
Le Harmel est une plante herbacée buissonnante de la famille des Zygophyllacées. Vivace et glabre, pouvant mesurer 40 à 60 cm de hauteur. La plante pousse naturellement dans les zones arides méridionales. On la retrouve dans l’Afrique du nord, en Europe centrale, au Moyen orient, l’Inde, au Tibet et en Sibérie. Elle émet une odeur désagréable quand on la froisse. Les fleurs possèdent 5 pétales blanc-jaunâtre. Son fruit est une capsule de forme sphérique, de 6 à 10 mm de diamètre, divisée en 3 loges, chaque loge comprend de nombreuses graines noires.
Dans plusieurs pays, la plante a été traditionnellement utilisée par les charlatans comme antimicrobien, vermifuge, antidépresseur, analgésique pour l'arthrose et même comme action abortive. À usage digestif ou cutanée, la substance en poudre est mélangée avec du miel ou l’huile d’olive à cause de son goût amère.
La plante contient de l’harmine et autres alcaloïdes bêta-carbolines qui sont des inhibiteurs réversibles de la monoamine oxydase (IMAO) et ont des propriétés sédatives et hallucinogènes. Ces alcaloïdes ont aussi une action anticholinergique centrale, cardio-vasculaire (hypotension, arythmie, bradycardie) et ocytocique.
Toxicité : nausées, vomissements, hallucinations visuelles et auditives, confusion, agitation, vertiges, hyperthermie, céphalées, somnolence, bradycardie, hypotension artérielle, anurie, ataxie locomotrice, tremblements, convulsions, dépression respiratoire et coma. Le Harmel peut provoquer un avortement chez la femme enceinte. Les symptômes durent généralement quelques heures. L'intoxication est souvent de bon pronostic mais plusieurs cas mortels ont été rapportés dans la littérature.
Diagnostic : dépistage par analyse toxicologique des urines.
Traitement : pas d’antidote, lavage gastrique si moins de 2 heures après ingestion, traitement symptomatique en milieu de réanimation.
8) LE CANNABIS OU CHANVRE :
Il se présente sous 3 formes : l'herbe (feuilles et tiges séchées), la résine et l'huile. la résine produite par la plante femelle a la forme d’une pâte assez dure, dont la couleur varie du vert au noir, en passant par le brun. L'huile est rarement utilisé.
Le cannabis est généralement consommé dans des cigarettes artisanales appelées «joints» ou avec une pipe. Plus rarement ingéré avec d’autres aliments ou en infusion.
La majorité des consommateurs de cannabis en font un usage occasionnel et festif, mais d’autres développent une dépendance avec un usage quotidien.
- Dans sa forme mineure : l’intoxication cannabique aiguë entraîne une ivresse légère, euphorique, suivie de somnolence. Parfois anxiété et agitation avec hallucinations visuelles. Les effets oculaires sont fréquents avec hyperhémie conjonctivale (yeux rouges) par vasodilatation et irritation conjonctivales. Le sujet peut se plaindre de sécheresse buccale par diminution de la sécrétion salivaire avec langue blanche. La drogue stimule l’appétit et altère la mémoire avec troubles de la perception du temps. L’évolution est brève de quelques heures et habituellement sans conséquence.
Il n’existe pas de cas mortels publiés mais il est prouvé que le cannabis favorise comme l’alcool la survenue d’accidents de la route.
- Deux problèmes intéressent les médecins aux urgences :
- Le syndrome cannabinoïde se définit chez les consommateurs chroniques de cannabis par des épisodes récurrents de douleurs abdominales, nausées et vomissements survenant le matin sans troubles du transit et sans anomalies biologiques ni radiologiques. Les symptômes sont améliorés par des douches et bains compulsifs d'eau chaude.
- Plusieurs cas publiés, ces dernières années, d’intoxications pédiatriques au cannabis par ingestion accidentelle, notamment chez les enfants de moins de 2 ans. Ces intoxications sont susceptibles d’entrainer un coma, hypotonie, mydriase, des troubles respiratoires et des convulsions nécessitant dans certains cas une hospitalisation en réanimation ou en soins intensifs.
Le diagnostic biologique repose sur la détection du THC dans les urines (seuil de positivité 100 ng/mL). La durée de positivité varie de 3 à 5 jours en cas d’usage occasionnel et de 10 à 30 jours ou plus en cas d’usage régulier.
Lisez notre article : intoxications et antidotes
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