Auteur : Pr S. Bouchoucha (réanimation)

L’insuffisance respiratoire aiguë (IRA) est parmi les détresses vitales les plus fréquentes en pratique quotidienne. Elle peut survenir à tout endroit et tout instant et nécessite une prise en charge immédiate par tout médecin qui y est confronté.

A/ COMPÉTENCES A ACQUÉRIR

1. Reconnaître précocement une insuffisance respiratoire et en évaluer la gravité dans chacun des contextes suivants :

  • sujet à poumons sains
  • patients insuffisants respiratoires chroniques
  • atteintes neuro-musculaires (coma en particulier)

Connaissances indispensables :

  • la sémiologie spécifique de l’insuffisance respiratoire aigue dans chacun de ces contextes
  • les échelles de gravité de l’insuffisance respiratoire aiguë chez les sujets à poumons sains (basée sur la dyspnée) et les IRC (basée sur l’encéphalopathie respiratoire.

2. Choisir le moyen d’assistance respiratoire appropriée à chaque type et gravité d’insuffisance respiratoire aiguë :

Connaissances indispensables :

  • Les différents moyens d’assistance respiratoire (matériels et usage) depuis l’oxygénothérapie jusqu'à l’intubation trachéale et la ventilation mécanique.

3. Identifier l’étiologie de l’insuffisance respiratoire aiguë :

Connaissances indispensables :

  • les étiologies en cause dans chaque contexte d’IRA (poumons sains, IRC…)
  • les éléments diagnostics décisifs pour chacune des étiologies

4. Orienter le patient en IRA vers la structure appropriée en fonction de la gravité et de l’étiologie de l’IRA

B/ REMARQUES PRÉLIMINAIRES :

L’insuffisance respiratoire aiguë est parmi les détresses vitales les plus fréquentes en pratique quotidienne. Elle peut survenir à tout endroit et tout instant et nécessite une prise en charge immédiate par tout médecin qui y est confronté.

C’est cette prise en charge «généraliste» que nous allons envisager, mais au préalable des remarques importantes s’imposent :

1- Les étiologies des insuffisance respiratoire aiguë :

Sont innombrables si l’on prend en compte la définition physiopathologique de l’IRA (défaut d’oxygénation des tissus périphériques).

En pratique l’IRA peut se présenter selon 3 tableaux cliniques distincts qui posent différents problèmes diagnostiques et thérapeutiques :

  • Les IRA d’origine thoracopulmonaire sur «poumons antérieurement sains» où la sémiologie clinique est la plus riche et le diagnostic aisé; elles représentent environ 2/3 de l’ensemble des IRA.
  • Les IRA d’origine neuromusculaire où la sémiologie clinique est pauvre et le diagnostic trop souvent tardif. C’est dans ce cadre que les gaz du sang artériel sont d’une aide décisive.
  • Les décompensations des IRC, 3ème groupe d’IRA, se singularisent par la sémiologie qui leur est associée (encéphalopathie respiratoire, IVD).

Les IRA en rapport avec un trouble de la distribution, du transport ou de la captation de l’oxygène, s’associent le plus souvent à des désordres circulatoires ou neurologiques sévères où les signes d’IRA passent au second plan.

2- Les traitements symptomatiques de l’insuffisance respiratoire aiguë : :

Oxygénothérapie et assistance ventilatoire sont d’une efficacité établie.

Utilisés précocement et de manière judicieuse, ils permettent de sauver beaucoup de vies, et d’envisager plus sereinement la recherche et le traitement étiologique de la détresse respiratoire.

Le médecin généraliste doit maîtriser les éléments basiques de ces techniques (oxygénothérapie, ventilation artificielle orale et manuelle) qu’il aura à mettre en œuvre, souvent dès le premier abord des patients.

C/ INSUFFISANCE RESPIRATOIRE AIGUE, SÉMIOLOGIE GÉNÉRALE :

1/ Les modifications ventilatoires :

  • a- La dyspnée :

Elle caractérise exclusivement les insuffisance respiratoire aiguë en rapport avec une étiologie thoracopulmonaire. La dyspnée correspond sur le plan physiologique à une sensation de «malaise» (centres limbiques stimulés par des récepteurs thoracopulmonaires) que le patient exprime par un sentiment d’étouffement, de soif d’air etc…

Parfois cette sensation ne peut être formulée par le patient (troubles de la conscience) et la dyspnée est alors identifiée par ses signes indirects (efforts musculaires ventilatoires d’intensité variable avec apparition de tirage intercostal, tirage sous ou sus-sternal, respiration abdominale.)

La dyspnée quand elle est reconnue à travers ses signes directs ou indirects, a une valeur sémiologique fondamentale :

elle signe le siège thoracopulmonaire de l’étiologie de l’insuffisance respiratoire aiguë :

  • elle constitue avec la polypnée, le signe le plus précoce de l’IRA
  • elle offre une échelle de gravité et d’évolution de l’IRA
  • elle peut aussi orienter la recherche étiologique en cas de dyspnée inspiratoire (obstacle sur les VAS) ou expiratoires (crise d’asthme)

Cette dyspnée est enfin à distinguer des respirations périodiques, type KUSSMAUL ou CHEYNES-STOKES abusivement appelées dyspnée.

b- Les autres modifications ventilatoires, associées à la dyspnée :

La polypnée (accélération de la fréquence ventilatoire) et l’hyperpnée (augmentation de l’amplitude ventilatoire) accompagnent constamment la dyspnée au début d’une IRA d’origne thoracopulmonaire. Quand l’IRA se prolonge, l’épuisement musculaire respiratoire abouti à une baisse progressive de la fréquence et de l’amplitude ventilatoire (hypopnée, bradypnée). Cette évolution caractérise l’aggravation de l’IRA et indique la mise en œuvre urgente des moyens d’assistance respiratoire.

2/ Les signes cliniques d’hypoxemie :

  • a- La cyanose constitue le signe clinique princeps de l’hypoxémie artérielle sanguine.

Elle apparaît quand le taux d’hémoglobine réduite dépasse 5g/100ml et constitue donc à la fois un signe tardif par rapport aux modifications ventilatoires et un signe de gravité chez les sujets à poumons sains.

Elle peut cependant être en défaut en cas d’anémie (apparition tardive) ou de polyglobulie (apparition facilitée, même en l’absence d’IRA chez les BPCO)

  • b- Les signes neurologiques traduisent la souffrance encéphalique induite par l’hypoxémie.

Chez les sujets aux poumons sains ils constituent un signe de gravité extrême et indiquent une assistance ventilatoire d’urgence. Ils se manifestent initialement par un état d’anxiété et d’agitation puis des troubles de la vigilance (coma de gravité variable) qui peuvent s’accompagner dans les insuffisance respiratoire aiguë brutales et sévères de convulsions.

Chez les IRC, le tableau neurologique est totalement différent. Chez ces patients, les signes neurologiques sont ceux de l’encéphalopathie respiratoire, au cours de laquelle apparaissent successivement des troubles neuropsychiques (désorientation, agitation, agressivité) souvent précédé de troubles du tonus musculaires (astérixis ou flapping) qui signent l’entrée en encéphalopathie.

L’encéphalopathie respiratoire peut enfin évoluer sur plusieurs jours et ne constitue donc pas, sauf si trouble de la conscience, un signe de gravité imminente.

  • c- Les signes cardiovasculaires sont également différents selon le terrain.

En l’absence d’insuffisance respiratoire chronique (poumons sains), il s’agit d’un collapsus ou d’un état de choc qui très rapidement peut aboutir à l’arrêt circulatoire. Ils constituent donc un signe de gravité extrême au même titre que les signes neurologiques.

Chez l’IRC, le tableau cardiocirculatoire est plutôt celui d’une insuffisance ventriculaire droite IVD d’installation progressive où les OMI peuvent être absents (installation rapide de l’IRA). Quand surviennent des troubles tensionnels, ils signent autant que les troubles de conscience une gravité extrême et imposent l’assistance ventilatoire urgente.

3/ L’apport des gaz du sang artériel :

Trois informations essentielles sont fournies par l’analyse des gaz du sang artériel :

  1. Le degré d’hypoxémie par les valeurs de la PaO2 et de la Sat HbO2
  2. L’état de la ventilation alvéolaire par le niveau de la PaCO2 (Hyperventilation si PCO2 basse et hypoventilation si PCO2 élevée)
  3. Les répercussions de l’hypoxie et de l’hypoventilation alvéolaire sur l’équilibre acido-basique (pH, bicarbonates plasmatiques).

L’interprétation des gaz du sang artériel doit tenir compte :

  • des conditions ventilatoires du patient au moment où le prélèvement a été effectué : ventilation assistée ou spontanée, air ambiant ou oxygénothérapie associée.
  • chez les IRC, des niveaux de base de la PaO2, PaCO2, Sat HbO2 et bicarbonates plasmatiques (modifiés par rapport aux sujets sains.

En tout état de cause, les gaz du sang artériels qui ne fournissent qu’un cliché ponctuel sur l’état ventilatoire au cours de l’évolution d’une IRA, nécessitent un délai minimum de réponse et ne sont pas partout disponibles; ils ne sauraient dans ces conditions être utilisés comme critère diagnostic de l’IRA;

La sémiologie clinique, plus riche et à tout instant accessible, est le moyen le plus sûr pour diagnostiquer et monitorer une IRA.

D/ LA SÉMIOLOGIE CLINIQUE DE L’INSUFFISANCE RESPIRATOIRE AIGUË, TROIS TABLEAUX CLINIQUES DISTINCTS :

a- les IRA d’origine thoraco-pulmonaire:

Le tableau est inauguré par l’association d’une dyspnée (avec hyperpnée).

Les signes de gravité apparaissent secondairement avec dans l’ordre :

  1. cyanose
  2. Troubles neurologiques : agitation, anxiété, convulsions, coma
  3. Troubles cardiocirculatoires : collapsus, ICA

b- les décompensations des Insuffisances respiratoires chroniques :

  • Dans ce cadre, les modifications ventilatoires (dyspnée et polypnée) sont discrètes voire parfois absentes.
  • La présence d’une cyanose (en raison de la polyglobulie) n’atteste pas de la gravité de l’IRA et peut même être observée chez des IRC stables.
  • Les manifestations neurologiques et cardiocirculatoires ont un autre profil et une autre signification par rapport à ceux sujets à poumons sains : Ils constituent certes des signes de décompensation, mais n’indiquent pas forcément une menace imminente.

Elles sont représentées par une IVD (hépatalgie, RHJ, OMI, …) et une encéphalopathie respiratoire d’installation progressive.

c- les Insuffisances respiratoires aiguës d’origine neuro-musculaire :

Dans ce cadre, les modifications ventilatoires (dyspnée - polypnée) sont habituellement absentes ou discrètes (hypopnée, bradypnée) et difficile à objectiver, sauf en cas de complications thoraco pulmonaires surajoutées (atélectasie, embolie pulmonaire,…)

Le diagnostic de ce type d’IRA repose donc sur les gaz du sang artérielmontrant une hypoventilation alvéolaire (hypercapnie, hypoxie) de degré variable. Sa recherche systématique s’impose devant toute atteinte neuromusculaire.

diagnostic des IRA

E/ INSUFFISANCE RESPIRATOIRE AIGUË, ÉCHELLES DE GRAVITE

F/ MODALITÉS D’ASSISTANCE VENTILATOIRE ET LEURS INDICATIONS :

1/ les moyens :

a- assistance ventilatoire :

1- Indications :

Arrêt ventilatoire ou insuffisance ventilatoire grave

2- Modalités :

a) orale (absence d’autres moyens de ventilation)

b) manuelle (au moyen d’un ballon auto remplisseur muni de valve anti-retour. BAVU ou Ambu).

Nécessite une pièce intermédiaire qui peut être :

  • canule trachéale (intubation) : technique de référence +++
  • éventuellement masque facial étanche,
  • en cas d’obstacle infranchissable des VAS peuvent être envisagés : cathéter transtrachéal ou crico thyrotomie.

c) Mécanique (au moyen d’un ventilateur automatique, activité par énergie électrique ou pneumatique et délivrant une insufflation périodique dont la fréquence, le volume etc… sont définis par l’opérateur).

Cette ventilation mécanique (VM) peut se faire par l’intermédiaire d’une intubation trachéale (VM invasive) ou d’un masque facial étanche (Ventilation non invasive ou VNI). Ces deux modalités ont des indications complémentaires.

* L’intubation trachéale est réservée :

  • Aux arrêt ventilatoires ou aux insuffisances ventilatoires graves
  • Aux insuffisances ventilatoires modérées mais dont l’évolution laisse envisager une aggravation ou la nécessité d’une ventilation prolongée (ex. Guillain-Baré, Tétanos)

* La VNI permet d’éviter l’intubation dans des IRA modérées dont l’étiologie peut être contrôlée rapidement : OP cardiogénique, noyades, décompensations IRC, IRA, post opératoire, …

b) l’oxygenotherapie :

1- adjonction d’oxygene à l’air inspire ou insuffle

- En Ventilation spontanée (VS):

  • moyens : sonde nasale, masque simple ou à haute concentration.
  • indications : hypoxémie avec insuffisance ventilatoire modérée.
  • modalités : < 2 L/min chez les IRC hypercapniques, jusqu’à 8 -10L/min pour les autres patients.

- En Ventilation assistée :

  • Manuelle par BAVU (Ambu)
  • Mécanique (masque, canule intubation,…)

2- oxygénothérapie en pression supra-atmosphérique

  • Modalités : chambre ou caisson
  • Indications : accidents de plongée, intoxications au CO, autres (infections chroniques graves….)

3- moyens complementaires d’assistance respiratoire

Drainage des voies aeriennes +++

  • LVA, PLS
  • Kinésithérapie respiratoire
  • Aspirations trachéo-bronchiques par sonde chez patients intubés (aspirations trachéales) ou non intubés (aspirations oro pharyngées)

2) les options :

  • Oxygénothérapie seulement si ventilation du patient satisfaisante : 2L/min si IRC - 4 à 8L/min si poumons sains.
  • Intubation et ventilation mécanique si ventilation insuffisante (VNI dans certains cas)
  • Drainage des VAS en cas d’encombrement buccopharyngé ou bronchique dans tous les cas.

©2013 efurgences - Pr S. Bouchoucha