Place des D-Dimères dans le diagnostic des thromboses veineuses profondes et de l’embolie pulmonaire

Pr Touhami Mahjoub (Biologiste)

Le taux de D-dimère dans le sang est normalement inférieur 0,50 microgrammes par ml, soit 500 µg/L

Ajuster ce taux selon l'âge, il est (= âge x 10) après 50 ans, exemple pour un patient de 75 ans le seuil des D-dimères est à 750 μg/L.

I- INTRODUCTION :

Les marqueurs biologiques de l’état pré thrombotique et de thrombose sont nombreux.

Les plus étudiés et le plus intéressant est le dosage des produits de la fibrine « les D-Dimères ». L’existence des fragments D sous forme dimérique dans le plasma témoigne la présence de caillot de fibrine stabilisé par des liaisons covalentes facteur XIII dépendantes; préalablement à l’attaque par la plasmine.

En urgence les D-D représentent un marqueur biologique de thrombose de grande valeur prédictive négative, de bonne sensibilité (90 à 100%) mais de faible spécificité. La valeur prédictive négative (reliée à la sensibilité) signifie qu'un résultat normal permet d'exclure le diagnostic.

La sensibilité qui exprime le pourcentage de résultats anormaux trouvé chez le patient atteint de la maladie (pourcentage de vrais résultats positifs).

Leur spécificité qui exprime le pourcentage de faux positifs, c'est à dire des résultats anormaux trouvés chez les patients exempts de la maladie (ou inversement, le pourcentage de vrais résultats négatifs).

 

II- PROCESSUS DE FORMATION DES D-DIMÈRES :

Au cours d’un processus de thrombose ou d’hémostase secondaire à une lésion vasculaire, il y a génération de thrombine. La thrombine a des fonctions multiples dont la transformation du fibrinogène en fibrine. Pour cela, la thrombine libère à partir de la molécule de fibrinogène, quatre petits fragments : deux fibrinopeptides A et deux fibrinopeptides B. La molécule de fibrinogène ainsi amputée devient un monomère de fibrine.

Les monomères ainsi formés se polymérisent, pour former un gel de fibrine appelé polymère de fibrine soluble et qui est encore mécaniquement fragile.

La thrombine active le facteur XIII (--> XIIIa = facteur stabilisant la fibrine). Ce facteur XIIIa crée alors des liaisons covalentes entre les monomères de fibrine, notamment entre des domaines appelés D. Le gel de fibrine est alors stabilisé et devient insoluble.

La présence de fibrine dans l’organisme déclenche un processus de fibrinolyse réactionnelle. Ce processus fait intervenir un enzyme protéolytique, la plasmine. La plasmine découpe la fibrine insoluble pour donner des produits de dégradation de la fibrine qui portent la structure D-D formée par la création d’une liaison covalente par le facteur XIIIa, entre deux domaines D de deux molécules distinctes de monomère de fibrine.

Cette structure D-D prouve qu’il y a eu génération de thrombine. On donne donc le nom de D-Dimères à ces produits de dégradation de la fibrine. Ils se distinguent donc de l’appellation générale de PDF. En effet, les PDF peuvent aussi bien être des Produits de Dégradation de la Fibrine (et donc contenir des D-Dimères), que des Produits de Dégradation du Fibrinogène (et donc ne pas contenir de D-Dimères). La présence de produits de dégradation du fibrinogène peut s’observer dans les fibrinolyses aiguës ou dans les thrombolyses par la streptokinase quand l’excès de plasmine, après avoir découpé la fibrine du thrombus, découpe ensuite le fibrinogène.

Le dosage de ces fragments D-Dimères fait appel à des techniques utilisant des anticorps monoclonaux très spécifiques.

III- TECHNIQUES DE DOSAGE DES D-DIMERES :

Actuellement, il existe plusieurs types de techniques :

L’agglutination de macro particules de latex recouvertes d’anticorps. Cette technique est de réalisation très rapide, mais n’est pas suffisamment sensible. On peut l’utiliser pour le diagnostic des CIVD mais pas pour le diagnostic d’exclusion des thromboses veineuses profondes (TVP) ou de l’embolie pulmonaire (EP).

L’agglutination des hématies du sujet à tester en présence d'un complexe formé d'un anticorps monoclonal spécifique pour les D-Dimères et d'un anticorps monoclonal qui se lie à la membrane du globule rouge. En présence de D-Dimères (>0,2 µg/mL) il y a agglutination des hématies. Ce test peut être pratiqué au lit du malade sur sang natif ou au laboratoire sur sang citraté. C'est un test unitaire, rapide adapté à l'urgence. Sa sensibilité est réduite et il ne fait pas mieux que les tests d’agglutination de particules de latex classiques.

Le dosage par méthodes ELISA (type sandwich) dans laquelle les D-Dimères sont piégés par un anticorps de capture qui les fixe à la matière plastique d’une microplaque, puis révélés par un autre anticorps couplé à un révélateur coloré. Cette technique est relativement coûteuse et assez longue à mettre en oeuvre (deux heures au minimum). Ainsi, les méthodes ELISA traditionnelles ne sont adaptées ni à l'urgence nécessaire pour un usage clinique, ni au dosage individuel. Il existe aujourd'hui des méthodes ELISA simplifiées ou automatisées, adaptées à l'urgence et au dosage individuel. Les performances de ces tests (sensibilité, valeur prédictive négative) sont comparables à celles des méthodes ELISA traditionnelles.
Le dosage par immuno turbidimétrie dans lequel deux anticorps monoclonaux anti-D-Dimères sont fixés sur des microsphères de latex. En présence de D-Dimères, il y a agglutination des microparticules, ce qui induit une augmentation de la turbidité du mélange réactionnel, mesurée sur la gamme des analyseurs STAÒ (Diagnostica Stago) Le résultat est disponible en sept minutes. Les performances de ce test STA-Liatest D-Di (sensibilité, valeur prédictive négative) sont comparables à celles des méthodes ELISA traditionnelles.
IV- UTILISATION PRATIQUE :

Les D-D est un test biologique d’excellente valeur prédictive négative; permettant l’exclusion de thrombose veineuse et d'embolie pulmonaire. En effet en dehors des maladies thromboemboliques (thromboses veineuses profondes et embolies pulmonaires) et du syndrome de défibrination (CIVD), les D-Dimères sont augmentés chez les sujet âgés, la femme enceinte, au cours des cancers, de l’infarctus du myocarde, d’infections virales et bactériennes, en période post opératoire, perfusion IV et cathéters centraux.

Aujourd’hui le dosage des D-D s’inscrit dans la stratégie diagnostique de l’embolie pulmonaire et des thromboses veineuses profondes. Il permet de limiter le recours aux techniques d’imagerie, qui sont coûteuses, lourdes et invasives uniquement aux patients ayant des taux élevé en D-Dimères ou forte probabilité de thrombose.Wells a définit un score pour évaluer la probabilité clinique de l’embolie pulmonaire

1- DIAGNOSTIC POSITIF

Le dosage des D-Dimères est inutile dans le diagnostic positif d’embolie pulmonaire ou de TVP. La présence de D-Dimères ne signifie pas obligatoirement présence de thrombose. En effet, on peut observer une élévation des D-Dimères en post-opératoire, au cours de la résorption d’un hématome, au cours de la grossesse, dans les phénomènes inflammatoires qui entraînent une augmentation du taux de fibrinogène. Le taux augmente aussi avec l’âge.

2- DIAGNOSTIC D’EXCLUSION

A défaut de poser le diagnostic positif, en raison de leur excellente valeur prédictive négative les D-Dimères peuvent être utilisés pour identifier avec le plus de certitude possible, les patients qui ne présentent pas de thrombose.

Cependant il faut établir une distinction entre les patients hospitalisés et les patients ambulatoires. En effet, une grande majorité de patients hospitalisés ont des valeurs élevées de D-Dimères, en l’absence de thrombose à la phlébographie. La valeur prédictive négative est donc meilleure pour les patients en ambulatoire.

3- SEUILS DE DÉCISION CLINIQUE

Les méthodes de dosage des D-Dimères sont très nombreuses. En raison des différences existant entre les divers anticorps monoclonaux utilisés par les différents fabricants, les seuils à partir desquels le test peut être considéré comme positif, sont variables. Ces seuils, combinant meilleure sensibilité et meilleure spécificité, sont déterminés par des centres évaluateurs amenés à valider cliniquement ces réactifs. Sur la base de ces études cliniques, chaque fabricant doit être en mesure de pouvoir proposer des valeurs seuils en fonction des différents types de pathologie (TVP proximale, TVP distale, thrombose veineuse superficielle, EP).

Pour le test STA-Liatest D-Di, pour un seuil de décision clinique à 0,5 µg/mL, la valeur prédictive négative varie selon les études entre 94,4 % et 100%. Le laboratoire de biologie doit indiquer ces seuils de décision clinique sur le compte rendu d’analyse.

V- CONCLUSION :

Pour le diagnostic positif de maladie thromboembolique, quelle que soit la méthode, la spécificité et la valeur prédictive positive des dosages de D-Dimères sont médiocres, de l'ordre de 50%, parce que les causes d'augmentation de D-Dimères sont nombreuses en dehors des thromboses veineuses.

Cette spécificité est très mauvaise chez les malades hospitalisés (15 à 30%) mais acceptable (50 à 70%) chez les malades externes suspects de thrombose, qui n'ont pas d'autre raison d'avoir une augmentation du taux de D-Dimères.

Pour le diagnostic d’exclusion de la maladie thromboembolique, de nombreux travaux, tous concordants, ont établi que dans le diagnostic d'une thrombose veineuse et d'une embolie pulmonaire un dosage de D-Dimères a une sensibilité et une valeur prédictive négative supérieure à 95%, sous réserve que le dosage soit effectué avec une méthode sensible. Cependant, certains auteurs, notamment Bauer de Boston estiment qu’une valeur prédictive négative de 95% est insuffisante. Cet auteur préconise pour les suspicions de TVP de coupler une échographie et un dosage de D-Dimères. La négativité des deux évite d’avoir recours à des explorations plus invasives, telles que la phlébographie par exemple. Pour l’embolie pulmonaire, il préconise de rajouter aux deux examens précédents une scintigraphie pulmonaire, les trois tests devant être normaux pour éviter d’autres explorations.

Avec les méthodes moins sensibles type latex, la sensibilité et la valeur prédictive négative sont de l'ordre de 80 à 85%, c'est à dire que le risque de ne pas détecter l'épisode thromboembolique est de 15 à 20%, ce qui est en pratique inacceptable vu la gravité potentielle de ne pas traiter un malade atteint de maladie thromboembolique.

On comprend dès lors l'intérêt accordé aux nouvelles méthodes ELISA simplifiées ou immuno-turbidimétriques, rapides, dont l'évaluation montre qu'elles ont des performances identiques à celles des méthodes ELISA traditionnelles.

Il est important que le biologiste soit conscient de ces problèmes afin qu'il puisse conseiller utilement le clinicien confronté au diagnostic des phlébites et des embolies pulmonaires, et choisir un réactif validé par des travaux cliniques de qualité.

© Pr Touhemi Mahjoub - efurgences.net