Les urgences en proctologie sont pour l’essentiel soit douloureuses (douleur anale) soit hémorragiques (rectorragies ou anorragies).

Les malades qualifient souvent d'hémorroïdes la plupart des symptômes anaux ou rectaux. On fera préciser duquel il s’agit parmi les suivants :
* Douleurs anales
* Rectorragies
* Prurit anal
* Suintements tachant le slip
* Perception d’une tuméfaction anale
* Le Prolapsus rectal étranglé, l’impossibilité d’exonérer ou le corps étranger enclavé motivent quelquefois cette consultation en urgence.

I - ANATOMIE DU CANAL ANAL (FIGURE N°1)
Le canal anal est le segment périnéal et terminal du rectum. La muqueuse qui le tapisse est divisée en deux étages par la ligne pectinée située à sa partie moyenne.


La ligne pectinée est formée par les valvules anales, replis transversaux semi-lunaires.
Les valvules forment avec la paroi du canal anal les cryptes de Morgagni au fond desquelles s'ouvrent les glandes anales. A ce niveau, il existe dans la sous muqueuse des dilatations veineuses (plexus hémorroïdaire interne).
Au-dessous de la ligne pectinée se trouve la zone cutanée lisse qui se termine avec la marge anale. Elle a une couleur grise bleuté et formée par un épithélium malpighien non kératinisée sans poils ni glandes. La marge anale se distingue de la peau environnante par sa finesse, son plissement et sa pigmentation brune. A ce niveau, il existe le plexus hémorroïdaire externe, sous cutané.
Le sphincter interne est un muscle lisse faisant suite à la musculeuse rectale dont il est un épaississement. Son tonus permanent assure la fermeture du canal anal.
Le sphincter externe est constitué de fibres striées entourant le sphincter interne et il entre dans la constitution du complexe sphinctérien avec le muscle releveur de l’anus.

II – EXAMEN PROCTOLOGIQUE :
Comme tout examen clinique, l’examen proctologique comporte :
* l’inspection de la marge anale (avec un bon éclairage) tout en écartant les plis radiés pour exposer la zone cutanée lisse de l’anus
* La palpation à la recherche de tuméfaction ou de douleur
* Le Toucher Rectal ++++
L’examen peut être fait en position génu-pectorale ou en décubitus latéral gauche. Cette dernière position est plus confortable pour le malade, physiquement et psychologiquement, mais la rectoscopie au tube rigide est moins aisée

III – LES EXPLORATIONS ANO-RECTALES :
* L’anuscopie et la rectoscopie au tube rigide sont deux techniques qui peuvent être pratiquées par tout médecin.
* L’anuscopie permet l'examen de la muqueuse du canal anal et d'apercevoir le bas rectum
* Cet examen est indolore et ne nécessite aucune préparation.
* La rectoscopie au tube rigide se fait avec un appareil long de 15 à 25 cm. Cet examen explore la muqueuse de tout le rectum jusqu’à la charnière recto-sigmoïdienne située vers 12-13 cm de la marge anale. Il est pratiqué soit sans préparation, soit après évacuation rectale par un micro-lavement.
Des explorations plus poussées telles que la sigmoidoscopie ou la coloscopie totale seront pratiquées par le spécialiste.

IV- LES URGENCES EN PROCTOLOGIE :
Il s’agit de patient qui vous consulte pour :

A- Douleur anale :
1- La maladie Hémorroïdaire

Il faut distinguer sur le plan sémantique, les structures anatomiques (réseau hémorroïdaire) des symptômes qui peuvent leur être associés.

La maladie hémorroïdaire : Il s’agit d’une affection anale résultant de complications liées aux dilatations veineuses normales sous muqueuses (hémorroïdes internes) ou sous cutanées (hémorroïdes externes).
Les Manifestations cliniques liées au plexus hémorroïdaires internes associent à divers degrés une procidence anale, des douleurs et/ou des saignements. La procidence peut être permanente ou ne survenir qu’au moment de la défécation.
Les douleurs sont plutôt à type de tension ou de brûlures, la gêne est intermittente et peut se reproduire par période de quelques jours (on parle de crise hémorroïdaire). Certains auteurs attribuent d’autres symptômes comme le prurit à la maladie hémorroïdaire.
Les plexus hémorroïdaires externes (et à un moindre degrés les plexus internes) peuvent être le siège d’une thrombose intravasculaire et pour corollaire des symptômes douloureux aigus : on parle de thrombose.

2- La thrombose hémorroïdaire
* La thrombose hémorroïdaire externe résulte de la formation d'un caillot. Elle s’accompagne d’un oedème de volume variable, non proportionnel à la taille du thrombus.
La thrombose est favorisée par l’hypertonie anale et par la grossesse. La douleur anale a un début brutal, elle est intense et continue.
La douleur n’est pas augmentée par la défécation. Il s’agit d’une tuméfaction marginale externe d’apparition brutale, bleutée, plus ou moins oedémateuse.
En l’absence de traitement, la douleur se calme spontanément en 2 à 7 jours, la tuméfaction régresse et peut faire place à une marisque séquellaire.
Le traitement consiste en l’extraction du caillot sous anesthésie locale quand la thrombose est apparue depuis moins de 72 heures et lorsque la réaction oedémateuse n’est pas trop prononcée. En cas de thrombose oedémateuse, vue tardivement, ou peu douloureuse, on a recours au traitement médical associant paracétamol, AINS et application d'une pommade contenant des corticoïdes.
* La Thrombose hémorroïdaire interne
est rare, se manifeste par une douleur vive. Elle est perceptible au toucher rectal sous forme d’une induration localisée très sensible. Le thrombus peut être excisé, mais le traitement est le plus souvent médicamenteux par une pommade aux corticoïdes et des AINS per os. Le prolapsus hémorroïdaire interne étranglé doit être traité d’urgence (réintégration, AINS, repos, hémorroïdectomie éventuelle).

3- La fissure anale
La douleur fissuraire est de type brûlure anale, déclenchée ou accentuée par l’exonération, et qui persiste pendant plusieurs heures après la défécation. Cette douleur est due est due à une contracture du sphincter anal interne. Elle s’accompagne parfois de rectorragies minimes, et d’une constipation souvent responsable du traumatisme initial et qui s’accentue du fait de la douleur à l’exonération. Le déplissement des plis radiés de l’anus permet de voir la fissure en forme de raquette à bords nets, à fond rouge, souvent commissurale postérieure. Le toucher rectal, est très douloureux en raison de la contracture sphinctérienne réflexe. Parfois, il est si douloureux qu’on ne peut pas le réaliser Il ne faut pas insister. La fissure peut être infectée et se prolonger par un petit abcès inter-sphinctérien. La fissure siège en général à – heures en position gynécologique. Au stade de fissure chronique, le bord s’épaissit en arrière pour former un capuchon mariscal
Il faut être alerté par quelques particularités n’appartenant pas à une fissure banale :
Toute fissure d’aspect inhabituel, indolore, de localisation latérale, remontant dans le canal anal au-dessus de la ligne pectinée, ou associée à une adénopathie inguinale, est suspecte. Elle doit faire pratiquer des prélèvements ou des explorations complémentaires visant à identifier une localisation anale de la maladie de Crohn, une affection vénérienne ou néoplasique, enfin une tuberculose.
Le traitement de la fissure anale est médical de première intention : ramollissement des selles, antalgiques, topiques locaux. Les taux de succès varient entre 40 et 70 %. Le traitement chirurgical (sphinctérotomie latérale interne) est réservé aux fissures anales chroniques, aux formes hyperalgiques ou résistantes au traitement médical.

4- L’Abcès périanal
La douleur est de survenue rapidement progressive sur quelques jours, pour devenir permanente, intense, pulsatile, insomniante. La fièvre est inconstante. Cet abcès pelvien peut induire, à la phase aiguë une constipation d’évacuation et une dysurie. L’abcès se présente sous forme d’une tuméfaction rouge, lisse, tendue.
Habituellement ces abcès sont dus à l’infection d’une glande sous-pectinéale.
L’examen retrouve souvent une tuméfaction marginale ou para-anale, rouge, inflammatoire et tendue. Quelque soit la nature, tout abcès anal symptomatique est « mûr » et le traitement est uniquement chirurgical. Une antibiothérapie ne guérira pas le patient, et les anti-inflammatoires non stéroïdiens quelquefois efficaces sur la douleur peuvent favoriser la diffusion à bas bruit de l’infection. Devant un abcès anal sous tension, le patient peut être immédiatement soulagé par une simple incision, après anesthésie locale superficielle.
Exceptionnelle, la gangrène gazeuse du périnée est une urgence qui engage le pronostic vital, en particulier en cas de diagnostic tardif. Elle doit être suspectée devant l’apparition de douleurs inhabituelles, de modifications inflammatoires du revêtement cutané péri anal et de signes infectieux généraux. Le classique « crépitation neigeuse » du tissu sous cutanée n’est présent que dans un tiers des cas. Favorisée par l’immunodépression, le diabète ou la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, cette cellulite ou fascéite nécrosante périnéale peut compliquer une suppuration anale banale. La prise en charge doit être réalisée dans un centre spécialisée de réanimation médicochirurgicale (antibiothérapie anti-anaérobies, une oxygénothérapie hyperbare, une colostomie de décharge initiale et un débridement chirurgical répété. En raison de cette complication rare mais dramatique, une antibioprophylaxie systématique par métronidazole est préconisée lors de tout geste proctologique invasif.
Parfois l’abcès n’est pas visible au niveau de la marge anale. Il s’agit d’un abcès endo-anal à l’origine d’une douleur et parfois de fièvre. Il peut être perçu sous la forme d’un bombement endo-anal au TR.

5- La fistule anale
Elle se traduit par un écoulement péri-anal intermittent de pu par un orifice souvent induré et en relief. La fistule est souvent indolore dans l’intervalle des rétentions abcédées ; elle peut cependant être la cause d’une gêne locale, d’un suintement ou d’un prurit. Fistules anales et abcès sont deux formes cliniques ou deux périodes évolutives de l’histoire naturelle d’une seule maladie ayant pour origine une infection des glandes anales. Le traitement de la fistule anale constitue exceptionnellement une urgence.

6- Autres causes de douleur anale
* Proctalgie fugace : la douleur rectale est très intense, à type de crampe, constrictive, souvent nocturne et réveillant le patient. Elle dure en général moins de 10 minutes. On n’en connaît pas la cause.
* Algies anopérinéales : ce sont des douleurs complexes, posturales, en cours de démembrement. Certaines, d'origine neurologique ont été identifiées (douleurs chroniques en position assise prolongée, unilatérales, associées à une hyper esthésie cutanée), d’autres d’origine myofasciale sont en cours de démembrement. Enfin certains troubles de la statique pelvienne (prolapsus) peuvent être responsables de douleurs pelviennes profondes. En présence de ces douleurs l’objectif principal doit être la recherche d’une lésion néoplasique et donc la pratique d’au moins une recto-sigmoidoscopie.
* Fécalome : Il se produit chez les sujets âgés, au cours d’affections neurologiques, chez les sujets en décubitus prolongé ou sous médicaments neurotropes.
* Le toucher rectal, geste simple et peu coûteux, ne doit donc pas être oublié… Le traitement repose sur le ramollissement du fécalome par des lavements huileux, aidés éventuellement d’une fragmentation digitale. L’évacuation manuelle sous anesthésie générale, quelquefois nécessaire, doit être prudente (risque de ruptures sphinctériennes secondaires aux dilatations anales).
* Les lésions traumatiques anales d’origine sexuelle sont délicates à prendre en charge. Il s’agit d’ulcérations anales multiples, souvent associées à des thromboses radiaires. L’échographie permet de rechercher de ruptures sphinctériennes occultes. En cas de viol, il faut rechercher les maladies sexuellement transmissibles et ne pas négliger la prise en charge psychologique.
* Les lésions plus rares par traumatismes accidentels, comme les accidents de la voie publique, les empalements, les plaies par armes à feu ou air comprimé, imposent une hospitalisation en milieu chirurgical pour bilan lésionnel.
* Le corps étranger rectal enclavé : Des objets très divers ont pu être rapportés comme enclavés dans le rectum, en général utilisés à visée auto-érotique. La nature et la situation exacte de l’objet doivent être appréciées par l’examen clinique, la radiographie de ASP qui recherche en outre un éventuel pneumopéritoine, et la recto-sigmoïdoscopie.
L’interrogatoire du patient embarrassé n’est pas toujours très contributif. Divers procédés d’extraction sont possibles après anesthésie sphinctérienne, voire locorégionale ou générale. Ils peuvent nécessiter des manoeuvres bi-manuelles, endoscopique.
Un corps étranger dégluti peut se bloqué au niveau du rectum.

B- Les rectorragies :
Les causes les plus fréquentes des rectorragies sont :
* La maladie hémorroïdaire : bien qu’étant la cause de loin la plus fréquente, ne doit être retenue qu’après avoir éliminé une tumeur rectocolique . Une coloscopie gauche ou une iléocoloscopie sont toujours à envisager.
* Les tumeurs : polypes adénomateux, tumeur villeuse, adénocarcinome, polypes juvéniles.
* Les autres causes proctologiques (rares) : fissure anale, excoriations cutanées par grattage, ulcération thermométrique (hémorragies abondantes), diverticulose colique (hémorragies abondantes),
* Rectites : inflammatoires, infectieuses ou iatrogènes (suppositoires d’AINS, radiothérapie externe), carcinome épidermoïde de l’anus
* L’extériorisation de sang rouge par l’anus peut provenir de lésions d’autant plus hautes (coliques, gréliques ou gastro-duodénales) quand le débit du saignement est plus élevé. Toute rectorragie abondante doit donc être explorée par endoscopie haute.
Une anémie ferriprive est exceptionnellement d’origine hémorroïdaire ; elle peut se produire chez des patients ayant négligé leurs rectorragies. L’indication d’examen endoscopique dans le cadre du diagnostic étiologique doit être relativement facile

C- Le prurit anal :
Le prurit anal est une plainte fréquente, gênant le malade et affectant sa vie sociale. Le besoin de grattage se produit à n’importe quelle heure de la journée, souvent au coucher. Le prurit anal est responsable de lésions de grattage qui l'entretiennent. Ces lésions sont à l’origine de taches de sang ou suintements tachant le linge ou le papier-toilette.
Dans la majorité des cas aucune cause locale ni générale n’est trouvée. Il est de règle d’évoquer une oxyurose et de rechercher les oeufs par la méthode du scotch-test. Il arrive aussi que l'anuscopie ou la rectoscopie visualise les vers.
On trouve à l’examen souvent des excoriations, parfois une lichénification sous la forme d’un épaississement cutané blanchâtre de la marge anale.
L’examen proctologique trouve rarement des lésions que le prurit anal peut révéler : fissure ou fistule anales, hémorroïdes procidentes, dermatoses péri-anales (Paget, Bowen, psoriasis) et même un carcinome anal. Le diabète serait un terrain favorisant. Les causes iatrogènes doivent être recherchées par l’anamnèse : topiques locaux, antibiothérapie per os (bétalactamines), antimitotiques.
Le traitement comporte toujours des règles hygiéno-diététiques (utilisation d’un savon sans colorant, port de sous-vêtements en coton, papier-toilette doux utilisé par tamponnements plutôt que frottement, régularisation du transit intestinal). Le traitement des lésions comporte, après la toilette et l’essorage, l’application d’une solution aqueuse de fluorescéine à 1 p 1000 et des dermocorticoïdes simples ou associés à un composant antibiotique ou antimycosique selon l’aspect des lésions. Ce traitement doit être poursuivi au moins 15 jours en cas de lésions suintantes et un sédatif per os peut être un appoint utile.

LES POINTS FORTS

* Les plaintes proctologiques sont entourées par un contexte socioculturel très particulier dont il faut tenir compte.
* Il s’agit souvent d’un sujet TABOU.
* Quand il consulte, le patient présente un état d’anxiété et de panique souvent très avancé. Il vient pour être rassuré, pour lui il ne doit pas s’agir de quelque chose de grave.
* Le médecin ne doit pas faire le jeu du malade, il doit rester scientifique
* Il est inconcevable qu’un patient consultant pour une symptomatologie anale quitte le bureau de consultation sans avoir eu un TR
* L’anuscope et même le rectoscope doivent faire partie de l’équipement du cabinet du MG, du bureau de consultation aux urgences.

1- Connaître les structures anatomiques de l’anus et du canal anal.
2- L’interrogatoire permet dans la grande majorité des cas de faire le diagnostic de la maladie proctologique mais il ne dispense jamais de la pratique d’un examen proctologique complet.
3- Il faut respecter les étapes de l’examen proctologique, surtout le TR et prescrire largement des examens endoscopiques.
4- La maladie hémorroïdaire est la cause de loin la plus fréquente des rectorragies. Ce diagnostic ne doit être retenue qu’après avoir éliminé, par une endoscopie, les autres causes graves (cancer,…)
5- Fistules anales et abcès sont deux formes cliniques ou deux périodes évolutives de l’histoire naturelle d’une seule maladie ayant pour origine une infection des glandes anales.

© Pr Fehmi Hamila – Pr Rached Letaief, Chirurgie, Sousse (Tunisie)