CAS CLINIQUE :
C’est un jeune patient de 25 ans sans antécédents connus, qui consulte pour une douleur abdominale depuis 8 heures avec diarrhée, vomissements, myalgie et une fatigue importante. L’examen clinique trouve une tachycardie à 110/min, une hypotension et signes de déshydratation. Abdomen souple et ECG normal. Le patient rapporte la cause à un sandwich qu’il a mangé la veille.
Le bilan biologique montre une natrémie à 128 mmol/L, une kaliémie à 5,4 mmol/L et une glycémie à 0,65 g/L.
L’interne de garde pense à une gastroentérite aiguë avec déshydratation et demande votre avis. Pouvez vous aidez ce jeune médecin ?

  1. Quel est votre diagnostic et sur quels arguments cliniques et biologiques ?
  2. Quel examens complémentaires à demander ?
  3. Quelle est votre conduite thérapeutique en urgence ?

D’abord se rappeler de deux règles d’or :

1- Le patient rapporte souvent une cause déclenchant sa maladie : un traumatisme, un stress, un effort physique, une prise alimentaire, .... etc. Il a peut être raison mais il ne faut jamais se fier à ses paroles. Ses déclarations peuvent vous emmener parfois en bateau.
2- Le vrai diagnostic n’est pas celui qui saute aux yeux en premier, il peut y avoir un piège, toujours discuter "les" diagnostics différentiels.

1/ LE DIAGNOSTIC À ÉVOQUER EST UNE INSUFFISANCE SURRÉNALIENNE AIGUË.
Arguments cliniques :

  • Douleur abdominale récente
  • Nausées, vomissements
  • Diarrhée
  • Douleur musculaire et fatigue intense [l’hypotonie musculaire est un signe très important et peut confiner le patient au lit]
  • Déshydratation extracellulaire et hypotension artérielle [peut varier d’une simple hypotension orthostatique à un état de choc hypovolémique dans les formes graves]
  • Dans certains cas on peut observer des convulsions ou coma en cas d’hypoglycémie sévère. Il faut rechercher aussi une hyperthermie [avec ou sans infection +++].
  • A remarquer que les signes cutanées existent seulement dans les formes chroniques : pigmentation de la peau et de la muqueuse buccale (mélanodermie) dans l’insuffisance surrénale primaire (ou maladie d’Addison) et pâleur dans l’insuffisance surrénale haute (corticotrope).
  • Demandez au patient s'il est sous corticoïdes et s'il a arrêté son traitement de façon brutale.

Arguments biologiques :

  • Hyponatrémie < 130 mmol/L +++ [avec une natriurèse >20 mmol/L]
  • Hyperkaliémie > 5 mmol/L +++
  • Hypoglycémie < 0,7 g/L ou < 4 mmol/L
  • On peut trouver également une insuffisance rénale fonctionnelle.

Les autres examens complémentaires à demander :
Dans ce contexte un bilan biologique large est nécessaire pour estimer la gravité et pour rechercher une éventuelle étiologie. Deux examens ne sont pas disponibles aux urgences mais leur réalisation ne doit pas retarder le traitement. À faire les prélèvements et les garder au frigo pour analyse dès que possible :
- Dosage du CORTISOL : une cortisolémie basse signe le diagnostic d'insuffisance surrénalienne. +++
- Dosage de l'ACTH : très élevée dans l'insuffisance surrénale primitive, normale ou basse dans l'insuffisance corticotrope.
À distance, on complétera les explorations par un test au Synacthène® et par dosage de la rénine et de l'aldostérone.

3/ CONDUITE THÉRAPEUTIQUE AUX URGENCES :

  • À domicile : Administration de 100 mg d'hydrocortisone IV ou IM ou à défaut en SC puis transport médicalisé à l’hôpital.
  • En milieu hospitalier : Patient en salle de soins intensifs avec surveillance en permanence des paramètres vitaux;

Remplissage par NaCl 0,9% 500 ml en 15 minutes, à renouveler si besoin [et drogues vasopressives immédiatement si hypotension engageant le pronostic vital];
– Perfusion NaCl 0,9 % 1 litre IV la première heure, puis adapter en fonction de l'état d'hydratation, de la glycémie, de la kaliémie et de la reprise ou non des apports oraux;
– Si hypoglycémie : Glucose 30% deux ampoules en IV bolus (20 ml), à renouveler au besoin 5 à 10 minutes après.
* Hydrocortisone :
– Une dose initiale de 100 mg en IV ou IM (ou, à défaut, en SC)
– 100 mg par 24 heures en perfusion IV continue par seringue électrique auto-pousseuse PSE (à défaut 50 mg en IV ou IM toutes les 6 heures)
– après correction de l'état clinique, hémodynamique et des troubles électrolytiques, retour au traitement par hydrocortisone per os en triplant la dose habituelle (au minimum 60 mg/24 heures) et en répartissant le traitement en trois ou quatre prises (dont une prise vespérale), puis diminution progressive en quelques jours pour revenir aux doses habituelles.
* Chez les patients avec insuffisance surrénale primaire, reprendre la Fludrocortisone lorsque les doses d'hydrocortisone sont inférieures à 50 mg par jour.
*Traiter le facteur déclenchant (++).
* Effectuer un bilan étiologique si l'insuffisance surrénale n'était pas connue.

POINTS CLÉS À RETENIR :
L'insuffisance surrénale aiguë ISA (en anglais Adrenal cirisis ou Addisonian crisis) correspond à un déficit de production des hormones cortico-surrénaliennes : CORTISOL (glucocorticoïde) et ALDOSTÉRONE (minéralocorticoïde). Le défaut de synthèse est d'origine périphérique (atteinte primitive des surrénales) ou centrale (atteinte secondaire de l'axe hypothalamo-hypophysaire).
L’ISA peut être inaugurale ou survenir chez un patient ayant déjà une insuffisance surrénalienne lente. Les facteurs déclenchant les plus fréquents sont n'importe quelle pathologie intercurrente (vomissements, diarrhées, infections, fracture, infarctus du myocarde, intervention chirurgicale, anesthésie, acte diagnostique invasif, effort physique important, stress psychologique intense, etc.).

C’est une maladie rare mais grave, le pronostic vital est en jeu si on n’instaure pas le traitement rapidement.
Tableau clinique et biologique :
– Asthénie majeure, douleurs diffuses (céphalées, douleurs abdominales), vomissements, diarrhée, déshydratation extracellulaire, hypotension évoluant vers le collapsus, confusion, signes d'hypoglycémie, mélanodermie (inconstante), etc. ;
– Hyponatrémie par perte de sel, hyperkaliémie, hypoglycémie, hémoconcentration, insuffisance rénale fonctionnelle ;
En cas de cause haute, plus rare : pas de mélanodermie ni de perte de sel ni d'hyperkaliémie.
– Le traitement doit commencer en urgence;
– Prélever le cortisol si crise inaugurale mais ne pas en attendre les résultats;
– Hydrocortisone : 200 à 300 mg par 24 heures en IV;
– Corriger l'hémodynamique et les troubles hydroélectrolytiques;
– Rechercher et traiter le facteur déclenchant;
– Effectuer un bilan étiologique si l'insuffisance surrénale n'était pas connue;
– Éducation du patient : une carte d'insuffisance surrénale et, éventuellement, un bracelet ou un collier d'alerte; des comprimés d'hydrocortisone et, si déficit en minéralocorticoïdes, de fludrocortisone; une boîte d'hydrocortisone injectable et le matériel pour l'injection; les recommandations d'urgence en langue étrangère si voyage;

POUR EN SAVOIR PLUS :

  • Société française d’endocrinologie SFE : Insuffisance surrénale chez l'adulte et l'enfant 
  • Orphanet (mise à jour 2019) : Insuffisance surrénale (en PDF) 
  • Wiebke Arl, Society for endocrinology endocrine emergency guidance : Emergency management of acute adrenal insufficiency (adrenal crisis) in adult patients. Endocr Connect. 2016 Sep; 5(5): G1–G3.
  • C. Jublanc, E. Bruckert : L’insuffisance surrénalienne chez l’adulte, La Revue de Médecine Interne, Volume 37, Issue 12, 2016, 820-826

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